2) MEDITATION DE L'AMOUR ENVERS LES ENNEMIS
On commence d'abord par se représenter des ennemis ou des esprits
nuisibles qui m'ont nui et qui sont l'objet de ma haine. Puis on pense
que durant nombre de mes existences, ils m'ont servi de mère. Ils
m'ont ainsi été d'un grand bienfait et m'ont souvent protégé
du danger, mais comme je n'ai pas répondu à leurs bontés
et à leurs bienfaits, j'en viens maintenant à considérer
comme des ennemis ces êtres qui me harcèlent en raison des
dettes passées, tout comme un débiteur considère son
créditeur comme le harcelant quand il insiste pour être payé
de sa dette. Parce que nos deux esprits sont brouillés et obscurcis
par le karma et la succession des naissances et des morts qui empêche
que nous nous reconnaissions, l'un des deux est tenu pour être l'auteur
du mal et l'autre est la victime. Nous ne pouvons ainsi nous empêcher
de nous faire mutuellement du mal et nous éloignons toujours plus
l'un de l'autre, alors qu'en réalité, nous sommes des parents
très chers. Le puissant yogui (Birwapa) dit:
"Ces êtres qui me nuisent sont en fait ma mère qui m'a
par le passé comblé de toutes sortes de bienfaits. Malgré
cela, comme des fous privés de tout libre arbitre, nous accomplissons
toutes sortes de non-vertus qui nous conduiront dans l'Enfer Sans Fin."
Ainsi, ces êtres m'ont non seulement comblé de nombreux
bienfaits par le passé, mais ils continuent à m'être
bénéfiques. En effet, d'un esprit plein de vanité
et d'orgueil, alors que je commets toutes sortes d'actions indisciplinées
et contraires au Dharma, ils m'aident à briser cet orgueil et sont
les amis qui m'incitent à me tourner vers le Dharma. Il faut donc
parvenir à penser du fond du coeur et non seulement de manière
superficielle que cet ennemi m'a vraiment montré et à de
nombreuses reprises, de multiples bienfaits, et méditer ainsi jusqu'à
ce que naisse réellement le désir de lui rendre ses bienfaits,
etc... tout comme précédemment. Il est dit:
"Celui qui devient capable de percevoir un maître de vertu dans
les objets qui font naître de mauvaises passions, tels que les ennemis
ou les proches, celui-là, où qu'il se trouve, jouira du bonheur."
Bien que méditant de cette façon, si l'amour ne naît
pas et qu'au contraire, la haine renaît et que l'on désire
faire du mal à cet ennemi, il faudra alors se remémorer les
méfaits de la haine tels que nous les avons décrits lors
de l'explication concernant les actes et leurs fruits. Si je ne suis pas
moi-même capable de maîtriser cet ennemi de la haine, je ne
pourrai, même si je m'y efforçais, venir à bout de
tous mes ennemis extérieurs. Si je maîtrise ma haine, tous
les ennemis extérieurs s'apaiseront d'eux-mêmes. Il est dit
dans le sPyod 'Jug:
"Les êtres mauvais sont (infinis) comme l'espace et jamais je
ne parviendrai à les détruire tous; si je me contente de
vaincre mon esprit de haine, c'est comme si j'avais vaincu tous mes ennemis.
Où pourrais-je trouver assez de cuir pour en entourer toute la terre?
Pourtant, le cuir que je mets sous mes souliers a le même effet (de
protection)."
3) MEDITATION DE L'AMOUR ENVERS TOUS LES ETRES VIVANTS
"Aussi éloignée que la limite de l'espace, se trouve la
limite des êtres vivants." (bZang sPyod ou Bhadracarya)
De même que l'espace est dépourvu de toute limite, de même
les êtres vivants sont sans limite. Il ne se trouve aucun de tous
ces êtres vivants sans limite, qui n'ait un jour été
mon père ou ma mère. Et tous m'ont servi de parents un grand
nombre de fois. Bien qu'ils m'aient alors montré de grandes bontés
et protégé de nombreux dangers, d'un esprit obscurci par
les mauvais actes et la succession des naissances et des morts, je ne les
reconnais plus comme tels et je demeure indifférent à leur
égard. Ceci n'est pas bon, il me faut plutôt m'efforcer de
répondre par des bienfaits à tous les bienfaits et les bontés
qu'ils m'ont montrés. Il faut ensuite continuer la réflexion
de la même manière que celle développée à
l'égard de sa propre mère, en se demandant quel bienfait
pourrait leur être le plus bénéfique, etc... S'il est
difficile de faire naître l'amour, il faudra d'abord commencer par
se représenter les êtres des enfers, puis ensuite chacune
des autres catégories des six états d'existence et penser
que si tous ces êtres pouvaient jouir du bonheur et de ses causes,
mon plus cher désir serait ainsi réalisé. Comme précédemment,
il faut méditer en associant le désir, la résolution
et la prière. En méditant ainsi, si l'on parvient à
faire naître le véritable et authentique désir de faire
le bien de tous les êtres de l'espace infini, cette méditation
de l'amour aura été accomplie avec succès. Il est
dit dans le mDo sDe rGyan (Sutralankara):
"Le Bodhisattva qui agit envers tous les êtres comme envers un
fils unique, possède au fond de son coeur, le grand amour caractérisé
par le désir de toujours réaliser leur bonheur et leur bien."
Comment réfléchir à tout cela? On concentre d'abord
ses pensées sur sa propre mère et l'on réfléchit:
Hélas, il s'agit là de ma mère dévouée
et aimante. Elle m'a tout d'abord donné ce corps chéri, puis
m'a donné cette vie chérie, et enfin elle m'a donné
sans regret toutes ces nourritures, ces richesses et ces biens si plaisants.
Alors que j'ignorais tout de l'attitude et du comportement à suivre
ou à rejeter, elle me les a enseignés. Elle m'a fait comprendre
alors que je ne comprenais pas, m'a fait connaître alors que je ne
connaissais pas, m'a fait obtenir des choses alors que je n'avais rien,
m'a permis de devenir l'égal d'autres qui me dépassaient,
etc... c'est à dire toutes ces choses que nous avons précédemment
décrites. Me rappelant également toutes ses autres bontés,
je penserai qu'il s'agit là de ma mère si aimante. En bref,
si j'ai un jour la possibilité d'atteindre à l'état
de Bouddha parfaitement accompli, c'est à ma mère bien-aimée
que je le dois aussi. Elle n'a pas été ma mère que
dans cette seule vie, mais l'a été à de multiples
reprises au cours de mes existences. A chaque fois, elle m'a montré
les mêmes bontés que ma mère actuelle et m'a protégé
du danger de la même façon. Si en retour, je ne suis pas capable
de lui apporter un grand bienfait, je serais le plus misérable des
êtres. Il me faut donc lui rendre bontés et bienfaits. Le
plus grand des bienfaits serait qu'elle puisse immédiatement jouir
du bonheur dans son corps et dans son esprit et qu'elle puisse jouir aussi
de la vertu qui serait la cause du bonheur dans toutes ses existences.
Malheureusement, pour le moment, elle est privée de bonheur et de
joie et toute son action va à l'encontre de la vertu qui est la
cause de la joie et du bonheur. Du fond de mon coeur, il me faut souhaiter
et espérer qu'elle puisse jouir d'un bonheur et d'une joie immédiats
et qu'elle puisse aussi jouir de la vertu qui est la cause lui garantissant
joie et bonheur dans toutes ses existences. Ainsi convient-il de méditer
en associant désir, résolution et prière et de s'appuyer
sur le plus fort d'entre ces sentiments pour développer les autres.
Finalement, bien qu'il me faille tout faire pour établir ma mère
dans le bonheur et ses causes, je n'en possède pas le pouvoir. Il
me faut alors prier et supplier du fond du coeur, le Lama et les trois
joyaux qui savent, de m'aider à établir ma mère dans
le bonheur et sa cause de vertu. Méditez jusqu'à ce que la
pensée que votre mère bien-aimée puisse jouir du bonheur,
puisse être heureuse, jouir de toutes les réussites et d'une
action vertueuse, jusqu'à ce que cette pensée soit ressentie
dans votre chair et vos os. Si une expérience intérieure
naît, il faudra la maintenir. On se remémore ensuite son propre
père actuel et l'on pense à toutes ses bontés qui,
à part de m'avoir porté dans son ventre et de m'avoir nourri
de son sein, sont les mêmes à mon égard que celles
de ma mère. On pense aussi qu'il m'a servi de parents durant un
nombre incalculable d'existences et qu'il m'a toujours fait don des mêmes
bonheurs et des mêmes bontés. Il faut ainsi méditer
comme on l'a expliqué plus haut. De la même manière,
on se remémorera ses proches et les autres êtres ordinaires
avec qui on a eu un lien quelconque et on passera en revue le détail
de leurs bontés dans cette vie. On réfléchira qu'ils
m'ont servi de parents dans nombre de mes existences et on développera
ainsi l'amour à leur égard. De la même manière,
à l'égard de ses ennemis ou des esprits nuisibles, etc...,
on pense qu'ils m'ont servi de parents dans beaucoup de mes existences
et qu'ils m'ont alors comblé de bienfaits. C'est parce que je n'ai
pas répondu à leurs bontés et à leurs bienfaits
que je les vois maintenant comme un ennemi ou un esprit nuisible désirant
se faire payer de la dette que j'ai envers eux. Même maintenant,
celui que je considère comme un ennemi, est en fait l'ami qui critique
les défauts de mon comportement contraire au Dharma. Celui que je
considère comme un esprit nuisible m'aide à tourner mes trois
portes vers la vertu. Dans la vie présente et dans mes autres vies,
il m'a comblé et me comble de ses bontés. Ainsi faut-il méditer
l'amour de la manière précédemment décrite.
Si l'amour est difficile à faire naître et que des pensées
de colère se développent, il faut penser de la manière
suivante: la méditation de l'amour est la seule méthode pour
la réalisation de l'éveil. En quoi le méditer ferait-il
du bien à mon ennemi? Alors que maintenant, je ne suis pas même
capable de supporter la plus petite souffrance du corps ou de l'esprit,
si j'accomplissais des actes me conduisant dans une vie future, dans les
abîmes des mauvais états de renaissance dont on ne se libère
jamais, qui pourrait donc être un plus mauvais pratiquant de la voie
du Grand Véhicule que moi? Comment me faire du mal à moi-même
pourrait-il nuire à mon ennemi? Méditant ainsi, il faut se
faire honte à soi-même. De la même manière, on
poursuivra la méditation en se représentant chacun des six
états d'existence et on pensera que depuis des existences sans nombre
jusqu'à maintenant, j'ai erré au sein de tous les états
supérieurs ou mauvais et ce, à de multiples reprises. Il
n'y a pas un lieu sur cette terre où je n'ai repris naissance, il
n'y a pas un être vivant qui ne m'ait un jour servi de mère
et ceci, de multiples fois. Ce faisant, ils m'ont donné la vie,
m'ont donné ma nourriture, des richesses et m'ont été
bienfaisants de nombreuses façons. Ils m'ont protégé
du danger et ils sont tous des êtres qui m'ont été
arrachés (par la mort) alors que je les chérissais. Il faut
ainsi méditer jusqu'à ce qu'un amour authentique et véritable
pour tous les êtres vivants, vienne à naître.
Dans tous les intervalles entre les sessions de méditation, il
faut s'efforcer de rejeter la colère envers les êtres vivants
et considérer chacun comme une mère dévouée
considère son fils bien-aimé. Efforçons-nous de libérer
de la crainte ceux qui sont dans un état de peur ou de danger, et
de protéger les vies ainsi que d'autres actions similaires. Il faut
aussi donner aux pauvres et à ceux qui sont privés de protecteurs,
nourriture, vêtements, abri, etc... et les réconforter par
des paroles douces et agréables. On doit aussi faire entendre le
nom des Bouddhas dans les oreilles des animaux et faire résonner
le son des mantras. En bref, la racine du Dharma du Grand Véhicule
est l'amour. Si l'amour naît, la compassion naîtra aisément,
c'est pourquoi il convient de s'appliquer avec assiduité au samadhi
de l'amour.
"Le fleuve de la compassion court au travers (du canal) de l'amour."
( mDo sDe rGyan)
B- MEDITATION DE LA COMPASSION, DESIR DE LIBERER AUTRUI DE LA SOUFFRANCE
Quels en sont les bienfaits?
"Tchenrézi dit: -Bhagavan, celui qui aspire à la bouddhéité
n'a pas besoin de s'entraîner à beaucoup d'enseignements.
L'entraînement dans un seul Dharma suffira, et il est celui de la
grande compassion. Il en est ainsi, Bhagavan: là où se trouve
la précieuse roue du monarque universel, se trouvent aussi ses armées.
Bhagavan, là où se trouve la grande compassion du Bodhisattva,
se trouve aussi tout le Dharma des Bouddhas." (Chos Yang Dag Par sDud pa'i
mDo ou Dharma samgiti sutra)
Ainsi, la racine de toutes les voies du Grand Véhicule se trouve
être la grande compassion.
"Tout d'abord la racine, puis les excellents fruits, voici comment apparaît
le merveilleux arbre de la compassion. Quand la racine de compassion n'existe
pas, nul ne peut supporter les rigueurs de la discipline (religieuse)."
(mDo sDe rGyan)
Le même texte dit aussi:
"La grande compassion est source de toutes les qualités. Qui
donc ne voudrait pas de la compassion à l'égard des êtres
vivants? Bien que l'on puisse souffrir pour eux, (la compassion) produit
une joie incomparable."
Si l'on distingue maintenant entre les diverses sortes de compassion
dont les bienfaits sont si grands, on observe la compassion qui se représente
les êtres vivants, celle qui voit son objet dans le Dharma et celle
qui voit qu'elle n'a pas d'objet.
1) LA COMPASSION QUI SE REPRESENTE LES ETRES VIVANTS
Il s'agit de la compassion qui, se représentant les êtres
vivants en proie à la souffrance, désire les libérer
de celle-ci en toutes circonstances. Le maître zLa ba annonce:
"Protéger tous les êtres dans la souffrance, c'est ce qu'on
nomme la grande compassion."
Comment la méditer? Me représentant ma mère, je
réfléchis comme précédemment à ses bontés
et au fait qu'elle m'a servi également de mère dans nombre
de mes autres vies. Après s'être tant efforcée pour
mon bien, elle erre pourtant dans la roue de l'existence et doit y endurer
toutes sortes de souffrances. Ressentant de la compassion à son
égard, je pense qu'il me faut absolument répondre à
ses bontés et à ses bienfaits. Ce qui lui ferait du bien
serait de se trouver libérée de ses souffrances actuelles
et de la non-vertu, cause de souffrances dans ses autres vies. Pourtant,
maintenant, elle endure toutes sortes de souffrances et elle accumule en
grand nombre les actes de non-vertu, cause de toutes sortes de malheurs
ultérieurs sans fin . Emu de compassion, je développe le
désir qu'elle puisse être libérée de la souffrance
et de ses causes; j'associe aussi à ce désir la résolution
de travailler à l'établir dans la libération de la
souffrance et puis j'ajoute la prière qu'elle puisse en être
libérée. Après l'une de ces trois pensées,
je prie le Lama et les trois joyaux qui savent, de veiller à ce
qu'il en soit ainsi.
Je procède ensuite de la même façon à l'égard
des proches dont mon propre père, puis à l'égard des
êtres ordinaires. Pensant qu'ils endurent maintenant de nombreuses
souffrances, et qu'ils accumulent sans cesse la cause de souffrances futures,
je me sens ému de compassion et je médite comme précédemment
décrit. En ce qui concerne mes ennemis, je pense qu'ils ont été
ma mère et ceci, à de multiples reprises. Ce faisant, ils
m'ont comblé de nombreux bienfaits et protégé du danger.
Je poursuis ainsi la méditation comme tout à l'heure puis
en me disant qu'ils me font du mal sous l'effet d'un esprit qui, sous l'emprise
de l'illusion, ne me reconnaît plus, je me sens ému de compassion
à leur égard. Il est dit:
"Même si on répond par du mal au bien que vous avez fait,
votre réaction devrait être celle de la grande compassion.
Les meilleurs êtres dans ce monde, répondent au mal par le
bien."
En outre, je suis aussi ému de compassion à l'idée
que leur esprit impuissant et échappant à tout contrôle,
étant amené à nuire à autrui, ils devront en
supporter le résultat, à savoir la souffrance dans l'enfer
d'Infinie Souffrance. Le puissant yogui dit:
"Développez la compassion à l'égard de tous les
êtres bienveillants qui vous ont chéri depuis un temps sans
commencement. Même s'ils vous ont par le passé, comblé
de leurs bienfaits, maintenant ils sont comme des fous sans contrôle,
et accumulent toutes sortes de non-vertus qui les conduiront aux enfers.
Si l'on sait cela, une compassion extrême naît à l'égard
des êtres vivants."
De la même manière, on se représentera chacun des
six états d'existence et chacun en proie à leurs douleurs
propres. Tous ont été ma mère et m'ont comblé
de leurs bienfaits. Comme tout à l'heure, on méditera en
désirant leur rendre leurs bienfaits et on se réjouira à
la pensée qu'ils soient libérés de la souffrance et
de ses causes.
2) LA COMPASSION QUI VOIT SON OBJET DANS LE DHARMA
En se représentant les êtres vivants en proie à
la souffrance et à l'ignorance, cause de la souffrance, il faudra
produire le désir qu'ils puissent être libérés
des deux. En effet, si l'on ne se débarrasse pas de l'ignorance,
cause de la souffrance, on ne pourra pas non plus éviter son fruit
de souffrance. Il est dit dans le rNam 'Grel (Pramanavarttika):
"Toute faute a l'ignorance pour racine et l'ignorance est la vue (fausse)
concernant la nature impermanente (des choses)."
Le sPyod 'Jug dit:
"Bien que les êtres aient le désir d'éviter la souffrance,
ils se précipitent pourtant vers elle; bien qu'ils aspirent au bonheur,
l'ignorance qui les enveloppe détruit ce bonheur comme s'il s'agissait
d'un ennemi."
Puisque la souffrance surgit du karma et des mauvaises pulsions dont
la racine est l'ignorance, je m'émeus de tous ces êtres en
proie à l'ignorance.
3) LA COMPASSION SANS OBJET DE REPRESENTATION
En se représentant les êtres vivants qui, bien que n'existant
pas de leur propre essence, sont pourtant solidement entravés par
les liens serrés de leur attachement à l'égo, cause
de la souffrance, on produit le désir qu'ils puissent être
libérés de la souffrance et de sa cause qu'est l'attachement
à l'égo.
"Les êtres sont comme un rêve. Un examen approfondi révèle
qu'ils sont (creux) comme un roseau." (sPyod 'Jug)
"Si l'on s'interroge alors à l'égard de qui ou de quoi
il convient de développer cette compassion, puisque les êtres
vivants n'existent pas réellement, c'est pour le fruit (d'une telle
méditation) qu'on accepte pour objet ce que l'ignorance appelle
ainsi (êtres vivants)." (sPyod 'Jug)
Ainsi, l'on se sent ému de compassion à l'égard
de tous ces êtres vivants qui, bien que dépourvus d'existence
réelle dans leur essence propre, ignorent la vérité
et ont l'esprit fermement entravé par les liens serrés de
l'attachement à l'égo. En effet, tout le temps qu'ils croiront
à la réalité d'un moi, ils devront reprendre naissance
au sein de la roue de l'existence, sous l'emprise de leurs actes et passions.
"Tout le temps que persiste la croyance dans (la réalité)
des agrégats, persiste aussi l'attachement au moi. L'attachement
au moi engendre les actes et les actes, les renaissances." (dBu ma)
Comment réfléchir à cela? Hélas, ma mère
dévouée m'a rendu maintenant tel et tel bienfait. Elle a
été ma mère tout au long de mes vies durant d'innombrables
éons et m'a toujours comblé de ses bienfaits et protégé
du danger. Comme je compatis à la voir ainsi subir mort après
mort et endurer toutes sortes de souffrances au sein de la roue de l'existence,
dont elle n'est pas encore parvenue à se libérer. Elle subit
maintenant, contre sa volonté, toutes sortes de souffrances. Etant
ignorante des moyens pour se libérer de la souffrance, elle accumule
sans cesse la cause de futures souffrances. Du fond de mon coeur, je souhaite
et me réjouis à la perspective qu'elle puisse être
libérée de la souffrance et de ses causes.
On médite ainsi en développant comme avant, le désir,
la résolution et la prière. Il faut poursuivre jusqu'à
ce que l'esprit ressente le poids insupportable du fardeau des souffrances
de sa mère, comme pesant sur soi. Quel malheur de la voir ainsi
subir telle et telle souffrance dans la roue et de la voir encore continuer
à accumuler les actes mauvais, causes de futurs malheurs. Quelle
pitié que de la voir ainsi se tromper et se perdre. Bien qu'il me
faille absolument l'aider à se libérer de la souffrance et
de ses causes, nul autre que le Lama et les trois joyaux ne possédant
un tel pouvoir, il me faut supplier le Lama et les trois joyaux pour qu'ils
oeuvrent en ce sens .
Il faut ensuite méditer de manière analogue à l'égard
de mon père et des autres êtres, en consacrant beaucoup de
temps pour la méditation concernant les ennemis.
Ensuite, je médite avec compassion sur les êtres vivant
dans les enfers, et qui ont été ma mère dévouée,
en passant en revue les souffrances des enfers chauds et froids. Je poursuis
cette méditation jusqu'à ce que mon esprit ressente le poids
insupportable du fardeau des souffrances des enfers comme pesant sur moi.
Puis on médite de la même manière à l'égard
des Prétas et des autres sortes d'êtres vivants. Lorsque le
désir authentique de les libérer de la souffrance se fait
sentir, je réfléchis que cette souffrance provient des mauvais
actes et que ceux-ci proviennent à leur tour de l'ignorance; je
m'émeus de compassion à l'égard de ces êtres
qui sont en proie à la souffrance et à l'ignorance qui en
est la cause. Je pense: "Puissent tous ces êtres se libérer
de la souffrance et de l'ignorance qui en est la cause." Comme l'ignorance
elle-même provient de l'attachement à l'égo, je me
sens ému de compassion à l'égard de ces êtres
qui, bien que dépourvus de toute réalité dans leur
essence propre, l'ignorent et sont ainsi fermement enserrés par
les liens de la croyance (en leur réalité). Je réfléchis
et souhaite qu'ils puissent donc se trouver libérés de la
souffrance et de sa cause qu'est l'attachement à l'égo.
Dans les intervalles entre sessions, il faudra constamment se préoccuper
de développer la compassion à l'égard des ennemis
et autres envers qui il est difficile de la développer, à
l'égard des esprits nuisibles et autres dont l'esprit est sous le
pouvoir de l'illusion, à l'égard des rois, bouchers et autres
qui commettent des fautes particulièrement lourdes et enfin, à
l'égard des malheureux, des pauvres, des malades et des êtres
sans protection. Il faudra aider les malheureux à se délivrer
de leurs souffrances. Et si l'on n'y parvient pas, il faudra au moins les
leur rendre moins lourdes en les aidant. C'est ainsi qu'il faut réfléchir
à tous les moyens possibles pour soulager ces êtres de la
souffrance et s'entraîner à ne jamais abandonner le souci
du bien d'autrui.
C- MEDITATION DE L'ESPRIT D'EVEIL, OU DESIR DE L'ETAT DE BOUDDHA POUR
LE BIEN DES ETRES
Est-ce que l'effort à l'accumulation des vertus et au rejet des
fautes, l'amour du désir du bien d'autrui et la méditation
de la compassion, désir de soulager autrui de la souffrance, suffisent
pour obtenir le parfait éveil? Tout ceci est indispensable à
la réalisation de l'incomparable éveil, mais pas suffisant.
Par exemple, il en est comme de la racine d'une plante qui repousse toujours,
même si on coupe ses branches et ses feuilles. De la même façon,
si l'on n'extirpe pas la racine de la roue de l'existence qui est l'attachement
à l'égo, comment pourrait-on trouver l'éveil? En effet,
la souffrance de la roue provient des actes, les actes proviennent des
mauvaises pulsions et les mauvaises pulsions proviennent de l'attachement
à l'égo.
"Tous les malheurs qu'il y a dans le monde, toutes les craintes et toutes
les souffrances proviennent de l'attachement à l'égo; à
quoi donc ce démon pourrait-il me servir? Si je ne m'en débarrasse
pas entièrement, je ne pourrai éviter la souffrance, de même
que si l'on ne détruit pas le feu, on ne peut éviter qu'il
brûle?" (sPyod 'Jug)
Si l'on se demande comment les mauvaises pulsions peuvent bien provenir
de l'attachement à l'égo, l'explication est la suivante:
sous l'emprise de l'ignorance de sa propre nature, de même qu'on
prend une corde rayée pour un serpent, de même on croit à
un moi là où il n'y en a pas et à un soi là
où il n'y en a pas non plus. C'est ainsi que vient, dépourvu
de tout fondement, le sentiment d'un moi. Sous son emprise, et par rapport
à ce sentiment, se développe la croyance (à la réalité)
d'autrui. Ainsi naissent l'attachement envers le moi et l'aversion envers
autrui, ainsi que l'ignorance envers sa propre nature. On se met à
accumuler des actes sous l'effet de l'emprise de ces trois poisons et à
reprendre indéfiniment naissance au sein de la roue de l'existence
où toutes sortes de fautes sont alors commises.
"S'il y a un "moi", c'est que l'on connaît aussi "un autre"; de
ces deux concepts, naissent attachement et aversion, et en relation avec
ces passions, toutes sortes de fautes sont commises." (rNam 'Grel ou Pramanavarttika)
Ainsi, puisque la racine de tous les malheurs est l'attachement à
l'égo, les êtres intelligents et avisés qui aspirent
à leur propre bonheur, feront bien de tenir pour un ennemi cet attachement
à l'égo et de s'efforcer à la méditation des
deux esprits d'éveil qui permet de dompter (cet ennemi). Par la
méditation de l'esprit d'éveil du sens relatif, on peut écraser
la tête de l'attachement à l'égo et, grâce à
la méditation de l'esprit d'éveil du sens ultime, on peut
en extirper la racine. Le même texte dit encore:
"L'amour et le reste ne peuvent totalement venir à bout de toutes
les fautes, car ils n'empêchent pas l'ignorance."
Il est dit aussi:
"Comme (l'ignorance) contredit la vision de vacuité, la nature
propre (de l'ignorance se manifeste dans) toutes les fautes qui s'accomplissent
en opposition (à cette vision)."
Ainsi, la méditation de l'esprit d'éveil apporte d'innombrables
bienfaits. Il est dit dans le Sutra de dPa' Byin Gyis Zhus pa'i mDo ou
Viradatta paripriccha sutra:
"Si l'on donnait une forme au mérite tiré de l'esprit
d'éveil, elle ne pourrait tenir à l'intérieur de toutes
les sphères célestes."
Le sPyod 'Jug dit:
"Si l'esprit d'éveil naît, dans l'instant le malheureux
enchaîné dans la prison de la roue de l'existence, est reconnu
comme un fils des Bienheureux (Bouddhas) et devient le digne objet des
prosternations de tous les dieux et les hommes."
Lorsque naît l'esprit d'éveil, on change de nom et de but.
Comme il est dit dans le sPyod 'Jug:
"A l'instar de la pierre philosophale, cet excellent (esprit d'éveil)
permet de transformer ce corps impur dans le joyau sans prix du corps d'un
Bouddha. Maintenez donc fermement ce que l'on nomme esprit d'éveil."
Ainsi, l'esprit d'éveil est comme la pierre philosophale qui
transforme ce corps misérable en un corps excellent. Il est dit
aussi:
"La sagesse infinie du seul guide des êtres a bien mesuré
ce joyau sans prix (de l'esprit d'éveil). Ceux qui désirent
se libérer de l'existence conditionnée seront bien avisés
de maintenir fermement le joyau de l'esprit d'éveil."
Ainsi, il est difficile à obtenir et porteur d'immenses bienfaits,
pareil au joyau (de l'esprit) exauçant les désirs. Il est
dit aussi:
"Toutes les autres vertus, semblables en cela au roseau creux, produisent
des fruits qui s'épuisent un jour; l'arbre de l'esprit d'éveil,
quant à lui, produit sans cesse des fruits qui ne font que croître."
Comme il a le pouvoir de produire des fruits en abondance, il est tel
l'arbre merveilleux exauçant les souhaits. Il est dit aussi:
"Même si l'on a commis des fautes dites de gravité infinie,
et de même que le courage vient à bout de la plus grande crainte,
si l'on s'appuie (sur l'esprit d'éveil), on se libère en
un instant (de ces fautes). Comment des êtres lucides pourraient-ils
le rejeter?"
Ainsi, il écrase les fautes avérées, pareil à
un courageux chef de guerre. Il est dit aussi dans le sPyod 'jug:
"En un éclair il consume entièrement les plus grandes
fautes, comme le feu de la fin d'un éon."
Il extirpe donc aussi à leur racine les fautes (dont le résultat)
n'est pas avéré, pareil au feu de la fin d'un éon.
Comme les bienfaits qu'il produit sont infinis, il n'y a dans aucun
autre monde, y compris celui des dieux, de Dharma plus parfait que l'esprit
d'éveil.
La caractéristique de cette pratique si bénéfique
est la réalisation du parfait éveil. En effet, détruisant
à la fois les deux aspirations dissemblables de l'esprit mondain
de la roue de l'existence et celle de (l'apaisement) du Nirvana, l'esprit
d'éveil est la réalisation du Nirvana Où l'on ne Demeure
Pas. Le seigneur Sakya Pandita a dit:
"Comme la particularité de cette pratique est de prendre sa propre
finalité pour pratique, il n'est pas faux de la considérer
comme l'esprit d'éveil ayant rejeté les obscurcissements."
Obtenir l'esprit d'éveil à partir du rituel (approprié)
est appelé développement de l'esprit d'éveil, et l'on
en possède les voeux dès lors que le désir constant
de rejeter son contraire est présent.
Si l'on cherche à les différencier du point de vue de
leur objet, il y a les deux esprits d'éveil, celui du sens relatif
et celui du sens ultime; du point de vue de leur genèse, il y a
également sa production grâce au verbe et sa production par
la (compréhension) de la vérité; du point de vue de
son essence, il est également double, à savoir l'esprit d'éveil
du souhait et celui de sa mise en oeuvre; du point de vue de ses étapes,
on en distingue quatre, à savoir l'obtention grâce à
l'intention, la pure aspiration, la maturation totale et le rejet des obscurcissements;
du point de vue de l'exemple, ils sont au nombre de vingt-deux, depuis
celui dit "semblable à la terre " jusqu'à celui dit "semblable
aux nuages"; du point de vue de l'assistance (apportée à
son développement), il y a vingt-deux conditions également
telles que "accompagné de l'intention" jusqu'à "doué
du corps de Dharma (ou corps de vérité)".
Ayant ainsi établi le catalogue général (de l'esprit
d'éveil), si l'on désire mettre sa méditation en pratique,
trois points seront expliqués: l'esprit d'éveil du souhait,
à savoir le désir du fruit pour le bien d'autrui, l'esprit
d'éveil en application, à savoir l'entraînement dans
la voie en vue du fruit, et l'esprit d'éveil du sens ultime, à
savoir l'union indissociable de la stabilité sereine et de la vue
pénétrante.
quinta-feira, 6 de setembro de 2012
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