3) REFLEXION SUR L'ABSENCE DE TOUT FRUIT POSITIF SI L'ON NE PRATIQUE
PAS LE SAINT DHARMA
Cette réflexion est menée dans le but d'induire à
la pratique. Trois points seront évoqués: l'alimentation
et la richesse ne servent à rien, c'est le saint Dharma qu'il faut
pratiquer; les proches et l'entourage ne sont d'aucune utilité,
c'est le saint Dharma qu'il faut pratiquer; la puissance et l'autorité
ne sont rien, c'est le saint Dharma qu'il faut pratiquer.
a) lorsque s'annonce vraiment l'heure de la mort, aucune possession
mondaine de nourriture, de richesse, de bien, etc... aussi auspicieuse
soit-elle, n'est utile:
on ne peut en faire cadeau au maître de la mort pour éviter
celle-ci et on ne peut non plus s'en servir comme d'une rançon.
On ne peut pas non plus les emporter dans l'au-delà, car c'est tout
seul et les mains vides qu'il faudra s'en aller, comme le poil qu'on extrait
du beurre. Le sPyod 'Jug dit:
"Bien que l'on jouisse pendant longtemps des richesses obtenues, un
jour, comme si tout nous avait été dérobé par
un voleur, il faudra s'en aller nu et les mains vides."
Non seulement ces possessions ne nous serviront pas, mais en plus, si
l'on ressent un fort attachement envers elles, elles nous nuiront. Le même
texte dit encore:
"Ainsi l'esprit ignorant s'attache (à des objets) qui, s'il en
est séparé, vont lui causer de grands tourments. Le sage
ne s'y attachera pas car de l'attachement naît la peur."
b) les proches et l'entourage, même en nombre, ne sont d'aucune
utilité à l'heure de la mort:
En effet, ils ne peuvent se battre contre le maître de la mort
pour le forcer à abandonner sa proie. Ils ne peuvent pas non plus
nous recommander à lui pour qu'il nous en exempte. Ils ne peuvent
alléger en le partageant, le fardeau de la souffrance de la mort.
Lorsqu'on s'en va pour le grand voyage, ils ne peuvent nous accompagner
car c'est tout seul qu'il faut partir.
"Bien que tous mes amis et mes proches soient assemblés autour
de ma couche, je suis seul à devoir endurer la sensation du retrait
de la vie. Lorsque les messagers de gShin rJe me saisissent, ni les amis
ni les proches ne peuvent rien. Seul le mérite (de la vertu) pourrait
alors me protéger mais, malheureusement, je ne l'ai pas amassé."
(sPyod 'Jug)
Non seulement ils ne servent à rien, mais, en plus, le poids
des fautes commises en relation avec eux, me suivra et me nuira. Le même
texte dit encore:
"De mon vivant, j'ai vu partir de nombreux proches aimés et d'autres
que je n'aimais pas, mais le poids des fautes que j'ai commises de leur
fait et pour eux, reste peser sur moi."
c) la puissance et l'autorité, de même que tout autre accomplissement
habituellement recherché et apprécié dans ce monde,
ne sont d'aucune utilité.
Par exemple, même le lion, roi des animaux, qui est capable d'écraser
la force de l'éléphant et dont le moindre rugissement terrifie
les petits cervidés qui n'osent plus alors respirer, même
ce symbole de la force voit celle-ci ainsi que sa fierté, s'affaiblir
et disparaître à la venue du maître de la mort qui l'emporte.
"Les lions anéantissent de leurs griffes la majesté des
éléphants dont ils labourent et déchirent le crâne.
De leur violent rugissement, ils terrifient l'esprit des autres êtres;
pourtant, lorsque gShin rJe se présente, ils doivent se coucher,
toute puissance et orgueil anéantis." (sKyes Rabs)
Non seulement puissance et autorité ne sont d'aucune utilité,
mais si, en plus, on en éprouve de la vanité et de l'orgueil,
le fruit de la maturation de ces sentiments nous suivra et continuera de
nous nuire.
"J'ai du bien et beaucoup d'honneurs, beaucoup m'aiment... De telles
pensées vaniteuses vous nuiront après la mort." (sPyod 'Jug)
En résumé, toutes ces conditions ne favorisent que temporairement
la vie, mais lorsque sonne réellement l'heure de la mort, aucune
substance ne peut l'empêcher, ni aucun mantra, ni aucun enchaînement
de conditions favorables, ni aucune autorité ou puissance, ni aucune
force ou courage, aucune richesse, ni la plus droite des conduites, ni
l'habileté dans les discours, ni l'intelligence. La plus grande
vitesse ne permet pas de s'enfuir et la ruse ne peut non plus tromper la
mort. Il est dit dans le sKyes Rabs:
"Une personne habile est capable de tromper des êtres dans une
grande assemblée. Mais aucune ruse quelle qu'elle soit, ne peut
tromper gShin rJe."
C'est ainsi qu'à l'heure de la mort, rien d'autre que le Dharma
ne sert. Il est dit dans le Sutra de l'Enseignement au Roi (rGyal po gSal
rGyal la gDams pa):
"Grand Roi, lorsqu'arrive réellement l'heure de la mort, et que
l'on est transpercé de la lance du maître de la mort, tout
orgueil vous abandonne, on perd tout protecteur, tout refuge, tout proche.
La maladie vous accable, la bouche se dessèche, le teint se défait,
les jambes et les bras tremblent, les lèvres noircissent, les dents
se serrent. On ne peut plus se lever et le souffle devient rauque; on souille
son corps d'urine, d'excréments et de vomissures. Tout docteur,
remède ou nourriture deviennent inutiles. C'est la dernière
fois qu'on est couché dans son lit. Sombrant dans le fleuve de la
roue, les aides de gShin rJe vous terrifient. Le souffle s'interrompt,
la bouche et les narines restent grandes ouvertes. On abandonne ce monde
pour un autre monde, on s'embarque pour un grand changement, on pénètre
dans de grandes ténèbres. On tombe dans un grand précipice,
le grand océan vous secoue, le fleuve du karma vous emporte. Vous
vous dirigez vers une direction où l'on ne peut faire halte, vous
ne pouvez décider du partage de vos richesses. On se lamente: "ô,
mon père, ma mère, mes enfants". Grand Roi, à ce moment
là, rien d'autre que le Dharma ne peut être un protecteur,
un refuge et lui-seul peut vous servir de proche. A ce moment là,
le Dharma devient le protecteur, le refuge, le support, le pays et la seule
famille."
C'est donc dès maintenant qu'il faut s'efforcer à la pratique
du saint Dharma vous permettant de ne pas abandonner le sentiment de l'inéluctabilité
de la mort. Si maintenant, alors que mes sens sont clairs et mon corps
comme mon esprit capables d'action, je ne pratique pas le saint Dharma,
ce n'est pas une fois le corps vieilli, l'esprit obscurci, devenu un cadavre
où seul demeure le souffle, ce n'est pas à l'heure de la
mort que je le pourrai. Comme Khro Phu Lotsawa le dit:
"Ne pas pratiquer le Dharma maintenant mais attendre la vieillesse et
la mort pour le faire, est comme revêtir une armure après
avoir été blessé dans la bataille et se frapper la
poitrine de désespoir."
Si l'on pense que la pratique du Dharma n'empêche pas la mort,
il faut comprendre que la manière de mourir n'est pas la même:
le pratiquant supérieur meurt dans le contentement, le pratiquant
moyen meurt sans crainte et le pratiquant inférieur meurt sans regret.
Il est dit dans le mDo sDe rGyan:
"Comprenant que tous les phénomènes sensibles sont comme
l'illusion et comme la promenade des êtres dans divers jardins, même
dans les temps d'affluence ou de pauvreté, on demeure hors d'atteinte
de la souffrance due aux mauvaises pulsions."
"Mieux vaut donc enfourcher la monture de l'esprit d'éveil qui
dissipe toute tristesse et fatigue et vous conduit de bonheur en bonheur.
Sachant cela, qui se laisserait aller à la paresse?" (sPyod 'Jug)
Lorsque meurt une personne qui n'a pas pratiqué le Dharma, elle
commence par regretter les fautes commises et de ne pas avoir pratiqué
le Dharma, ensuite elle souffre de la destruction de ses fonctions vitales
et finalement, elle meurt terrifiée par le maître de la mort.
Le même texte dit:
"Celui qu'on emmène aujourd'hui pour lui couper les membres,
est terrifié, la bouche desséchée et les yeux mornes,
les traits changés. Est-il besoin de dire ce que l'on ressent lorsque,
saisi par les terrifiants messagers de gShin rJe, la terreur vous emporte
et vous affole?"
Comment réfléchir à tout cela? Hélas, la
mort va venir, mais j'en ignore le moment. Seul le Dharma pourra m'être
utile à cette heure. Pourtant, je n'ai fait qu'aspirer à
des fins mondaines et me suis laissé distraire par les actes inutiles
de ce monde. Tenant pour essentielles des choses dépourvues de tout
fondement, je ne me suis jamais soucié du moindre Dharma prenant
la mort pour préoccupation. Hélas, comment ferai-je à
l'heure de la mort?"
Il faut ainsi méditer jusqu'à ce que naisse un violent
renoncement et détachement ne permettant plus de supporter la situation
existante. "Jusqu'à maintenant, je me suis laissé dominé
par les préoccupations de cette vie; si du fond du coeur, je ne
me mets pas de suite à la pratique du saint Dharma, alors, comme
quelqu'un revenant les mains vides d'un endroit empli de pierres précieuses,
ce serait la plus grande erreur que je pourrais jamais commettre. Il me
faut absolument me mettre à la pratique du Dharma qui ne me faillira
pas à l'heure de la mort. Je ne dois pas prendre de retard dans
cette tâche, ni ne me laisser aller à la paresse. C'est dès
maintenant que je dois commencer, et rapidement. Il me faut y mettre la
même hâte que j'emploierais à éteindre un feu
qui aurait pris à mes cheveux ou à mes vêtements. A
l'heure de la mort, aucune nourriture, aucune richesse ni aucune possession
de cette vie, de même qu'aucun ami ni aucun proche, ne pourront m'être
utiles. Je dois donc rejeter, comme on rejette un crachat, tout souci d'accumuler
ou de garder de telles choses. Mettant toute ma confiance dans le Lama
et les trois joyaux, je ne me consacrerai plus qu'à la pratique
du Dharma. Puissent le Lama et les trois joyaux qui savent, faire qu'elle
imprègne mon esprit.
Il faut ainsi poursuivre cette réflexion jusqu'à ce que
sa vérité soit ressentie jusqu'au plus profond de soi, et
prier en aspirant fortement (à la réalisation de ces souhaits).
Dans les intervalles entre sessions, il faut maintenir sans cesse sa
vigilance en pensant que la mort est inéluctable, qu'on en ignore
la date et l'heure et que rien d'autre que le Dharma ne pourra nous servir
à ce moment. Autrement, chaque fois que l'on voit ou entend parler
de la mort d'autrui, et chaque fois que l'on voit le cadavre ou les ossements
d'un animal, il faut penser que le même sort nous attend et que nul
ne peut y échapper. On se détachera ainsi des préoccupations
de cette vie. Chaque fois que naît une pensée mondaine, il
faut l'observer avec vigilance et retrouver une meilleure disposition mentale.
Il faut aussi éviter la compagnie de mauvais amis entièrement
occupés par les désirs de cette vie, et savoir se contenter
des circonstances favorables temporaires qui se présentent sous
forme de nourriture, de vêtements ou autres. Toute pratique sera
précédée de la pensée de l'impermanence qui
nous stimulera. Toute pratique d'étude, de réflexion et de
méditation accomplie sous le crochet de cette pensée de l'impermanence,
permettra d'avancer dans le Dharma et de réussir rapidement. Ceux
qui désirent la libération la garderont sans cesse à
l'esprit.
III- INSTRUCTION SUR LES ACTES VERTUEUX ET NON VERTUEUX AVEC LEURS
FRUITS RESPECTIFS AFIN DE CLARIFIER LA CONDUITE A TENIR OU A REJETER
Le Traité l'évoque par les mots "vision impure". En effet,
on comprend que tout ce qui dans une vision impure, est perçu comme
bonheur ou souffrance, ne provient que des actions vertueuses ou non-vertueuses.
La vision impure comporte deux aspects: la vision illusoire et la vision
karmique. La vision illusoire est la vision dualiste de la perception d'un
sujet et d'un objet, alors que rien de tel n'existe. La vision karmique
est un aspect de la vision illusoire: elle consiste dans la perception
de divers bonheurs et souffrances tels qu'une vie courte ou longue, la
richesse ou la pauvreté, etc...., parce que ces perceptions sont
le fruit de divers actes vertueux et non-vertueux.
Comment le démontrer? Certains pourraient penser que puisqu'au
moment de mourir, aucun bonheur ou souffrance de ce monde, ni aucun proche,
ami, ou aucun de nos biens, ne nous suivront, les résultats de nos
actes vertueux et non-vertueux ne nous suivront sans doute pas non plus.
Ce raisonnement est erroné. Il est dit dans le Sutra de l'Instruction
au Roi:
"O Roi, lorsque sous la pression du temps qui passe, s'approche la mort,
ni vos richesses, ni vos amis, ni vos proches ne vous suivront. Par contre,
les actes (commis) suivent la personne qui meurt, partout où elle
va, comme son ombre."
"Les actes ne mûrissent pas dans la terre, ils ne mûrissent
pas dans la pierre; ils ne mûrissent que dans les agrégats
dont se saisit (le futur être)." (Sutra de Mdo sDe Las brGya pa ou
Karma Sataka)
Ainsi, les actes que l'on a commis ne restent pas derrière soi,
ils ne suivent pas d'autres êtres, ils ne disparaissent pas. Comme
l'oiseau que son ombre suit même lorsqu'il s'envole dans le ciel,
les actes suivent leur auteur et ils ne se dissolvent pas même durant
un éon ou plus.
"Les actes commis par les êtres en possession d'un corps, ne s'épuisent
pas même au terme de cent éons. Le moment et les conditions
venus, ils produisent un fruit." ('Dul ba Lung ou Vinayagama)
La réflexion à ce sujet sera conduite par l'examen des
trois points suivants: premièrement, produire le désir de
rejeter la non-vertu par l'examen des fruits qu'elle engendre; deuxièmement,
produire le désir de pratiquer la vertu par l'examen des fruits
qu'elle engendre; troisièmement, transformer les actes neutres en
vertus.
A- PRODUIRE LE DESIR DE REJETER LA NON-VERTU PAR L'EXAMEN DES FRUITS
QU'ELLE ENGENDRE
Trois points sont à considérer, les actes de non-vertu
eux-mêmes, leurs fruits et comment les éviter.
1) Les actes non vertueux
"Les actes produits par le désir, la haine-agressivité
et l'ignorance sont des non-vertus." (Rin Chen Phreng ba)
Il s'agit de tous les actes des trois portes (corps, parole et esprit)
commis sous l'emprise de l'attachement à soi-même et à
son propre clan, de l'hostilité envers autrui et enfin, de l'ignorance
envers la loi des actes et de leurs fruits. De même que toutes les
feuilles, les fleurs et les fruits issus d'une racine empoisonnée,
le sont aussi, de même tous les actes commis sous l'emprise de ces
trois pulsions, sont des non-vertus. Si l'on veut en établir la
classification, il y a les actes du corps qui sont l'acte de tuer, celui
de prendre ce qui n'a pas été donné et l'inconduite
sexuelle. Les actes de la parole sont au nombre de quatre: le mensonge,
la calomnie, le langage fait pour blesser et le vain bavardage. Les actes
de l'esprit sont au nombre de trois: l'envie, la méchanceté
et les vues fausses. En tout, il y a dix actes non-vertueux.
L'acte de tuer consiste à soi-même supprimer ou induire
autrui à supprimer la vie d'un autre être vivant, par le poison,
le feu, les armes ou tout autre moyen.
Prendre ce qui n'a pas été donné consiste à
s'approprier par la force ou la ruse, tout objet grand ou petit appartenant
à autrui.
L'inconduite sexuelle consiste à avoir des relations avec une
femme appartenant à autrui. Même s'il s'agit de sa propre
femme, l'inconduite sexuelle consiste dans les relations avec un objet
inapproprié tel qu'une parente proche jusqu'à sept degrés,
les relations à un moment inapproprié tel que lors de la
grossesse ou lors de la prise des voeux d'abstinence, dans un endroit inapproprié
tel qu'un temple ou au vu de ses propres parents, par un orifice inapproprié
tel que la bouche ou l'anus, etc...
Ainsi les textes décrivent-ils l'acte de tuer comme l'acte volontaire
commis par soi-même ou par un autre qu'on a induit à agir
ainsi; prendre ce qui n'a pas été donné est s'approprier
soi-même la richesse d'autrui, par la force ou la ruse; l'inconduite
sexuelle est de prendre la femme d'autrui ou bien d'avoir des relations
avec un objet, à un moment, dans un lieu et par un orifice inappropriés.
Le mensonge est l'énoncé volontaire de paroles fausses
dans le but de tromper autrui.
La calomnie est l'énoncé de diverses paroles mauvaises,
fausses ou vraies, dans le désir de créer des dissensions
entre les gens, qu'ils soient ou non en harmonie les uns avec les autres.
Le langage blessant est l'énoncé de paroles dont le sens
vise à blesser autrui.
Le vain bavardage consiste dans les discours concernant l'écoute
ou la réflexion sur de mauvaises histoires; il s'agit aussi de toutes
les paroles de mauvaise inspiration, telles que les paroles de dénigrement,
les chansons, les ballets, les histoires politiques, militaires ou sexuelles.
Ainsi, les écritures décrivent-elles le mensonge comme
le fait de prononcer volontairement des paroles fausses dans le but de
tromper autrui; la calomnie est l'énoncé de paroles dictées
par les mauvaises pulsions, afin de séparer les gens; le langage
blessant est désagréable, il vise à toucher et blesser
autrui; le vain bavardage consiste à rapporter de mauvaises histoires;
il s'agit aussi de tous les discours inspirés par les mauvaises
pulsions, consistant dans le dénigrement, les commentaires sur les
chansons et ballets, etc...
L'envie est le désir de s'approprier ce qui appartient à
autrui.
La méchanceté est l'esprit dominé par le mal, qui
désire nuire à autrui.
Les vues fausses sont le fait de ne pas croire à la vérité
des trois joyaux et de la loi du karma, etc...
Ainsi les textes décrivent-ils l'envie ou convoitise comme le
désir de s'approprier ce qui appartient à autrui; la méchanceté
est un esprit dominé par le mal et qui cherche à nuire à
autrui; les vues fausses consistent dans le fait de ne pas croire aux trois
joyaux et à la loi de rétribution des actes.
2) Comment réfléchir aux fruits de ces actes?
"Des non-vertus naissent la souffrance et tous les mauvais états
d'existence." (Rin Chen Phreng ba)
Chacun des actes de non-vertu porte un fruit de la maturation, un fruit
en accord avec sa cause, et un fruit de la propriété.
a) Le fruit de la maturation
Ce fruit commun à toutes ces non-vertus est la souffrance des
trois mauvais états d'existence, comme le dit le Rin Chen Phreng
ba. Si on les détaille en fonction de la motivation guidant l'acte,
les actes commis sous l'emprise de la haine-agressivité conduisent
aux enfers; sous l'emprise du désir-attachement, ils conduisent
aux Prétas; sous l'emprise de l'ignorance, ils conduisent aux animaux.
Le même texte dit encore:
"La haine-agressivité conduit aux enfers, l'attachement conduit
chez les Prétas, et l'ignorance conduit habituellement chez les
animaux."
Si on les détaille en fonction de leur essence, si on commet
ces dix non-vertus de façon intensive, les enfers nous attendent;
de manière moyenne, ce sont les Prétas et de manière
limitée, les animaux.
b) Le fruit en accord avec sa cause est double:
Il y a le fruit en accord avec sa cause, en tant qu'expérience
et le fruit en accord avec sa cause en tant que tendance à la reproduire.
En ce qui concerne le fruit en accord avec sa cause en tant qu'expérience,
il apparaît à celui qui devra plus tard endurer les souffrances
des trois mauvais états d'existence en tant que fruit de la maturation,
de même qu'à celui qui, les ayant déjà endurées,
renaît maintenant au sein des états supérieurs. Celui
qui a tué aura une vie courte et pleine de maladies, même
s'il a obtenu une renaissance dans un état supérieur. Celui
qui a volé souffrira de la pauvreté et de l'impuissance à
jouir du peu qu'il a. Celui qui a eu une mauvaise conduite sexuelle aura
beaucoup d'ennemis et une épouse infidèle et peu accommodante.
Celui qui a menti aura beaucoup de diffamateurs, on lui parlera durement
et les autres parviendront aisément à le tromper. Celui qui
a calomnié aura peu d'amis et de proches, et le peu qu'il aura se
détachera facilement de lui. Celui qui a usé d'un langage
blessant devra supporter des discours déplaisants et verra toutes
ses paroles devenir cause de querelle. Celui qui a abusé du vain
bavardage ne sera pas cru par autrui, même lorsqu'il parlera la vérité.
Le résultat de l'envie sera que l'esprit ne pourra pas satisfaire
ses désirs et qu'il ne saura s'en contenter au cas où il
les satisferait. Le résultat de la méchanceté sera
un esprit de crainte constante et la peur qu'autrui vous nuise. Des vues
fausses produiront la rencontre avec de mauvaises vues et donneront une
faible capacité de sagesse, ou bien même une sagesse erronée.
Le Rin Chen Phreng ba dit:
"Tuer produit une vie courte, voler produit la pauvreté, l'inconduite
sexuelle amène de nombreux ennemis, le mensonge apporte de nombreux
diffamateurs; la calomnie provoque la séparation d'avec les êtres
aimés; le langage blessant oblige à supporter des discours
déplaisants; parler à tort et à travers donnera une
parole qui ne sera pas respectée; l'envie empêchera la réalisation
des désirs, la méchanceté engendrera la peur et les
vues fausses produiront encore de mauvaises vues."
Le fruit en accord avec sa cause en tant que tendance à la reproduire
se décrit ainsi: après avoir commis des actes non-vertueux,
et sous la force de l'habitude ainsi créée, on prend naturellement
plaisir à renouveler de tels actes dans toutes ses existences ultérieures.
Par exemple, celui qui, maintenant, aime tuer, obtiendra le résultat
en accord avec sa cause d'une tendance à l'habitude de tuer d'autres
êtres dans de nombreuses existences. Et les mêmes résultats
correspondants découleront des autres actes.
c) Quant au fruit de la propriété, il est dit qu'il mûrit
et porte ses fruits dans le monde extérieur où l'on naît
et l'on vit.
Il est dit dans le Rin Chen Phreng ba:
"L'environnement est peu majestueux, avec de fortes tempêtes de
grêle, de poussière, des mauvaises odeurs, de fortes dénivellations
de terrain, une terre salée, une inversion des saisons, des fruits
minuscules, ou amers ou pas de fruits du tout."
Expliquons ces résultats: tuer produit un environnement sans
beauté; prendre ce qui n'a pas été donné produit
un environnement sujet à la grêle et au gel; l'inconduite
sexuelle produit des tempêtes de poussière; le mensonge produit
une terre sale et malodorante; la calomnie produit une terre aux fortes
dénivellations de terrain; le langage blessant produit une terre
salée; le vain bavardage produit un changement et une inversion
des saisons; l'envie produit (une terre ne portant que) des fruits minuscules;
la méchanceté produit des fruits au goût amer, tandis
que les vues fausses produisent (une terre) sans aucun fruit. Ainsi, ceux
qui demeurent dans de tels endroits comprendront qu'il s'agit là
du fruit de la propriété produit par leurs actes non-vertueux.
"Bien que celui qui commette de telles fautes, désire le bonheur,
où qu'il aille, il lui faudra supporter la souffrance de ses fautes
marquant (son environnement)." (sPyod 'Jug)
quinta-feira, 26 de julho de 2012
LANDRÉ 7
B- LES IMMENSES BIENFAITS QUE PROCURE UNE TELLE INCARNATION
Il est bien certain que sous de nombreux aspects, il est très difficile d'obtenir un corps humain avec toutes ces précieuses conditions, mais quel est le profit que l'on peut en espérer? Si on réussit, les bienfaits de cette existence humaine seront plus grands encore que si l'on était entré en possession d'un joyau exauçant les souhaits. Si on prie un tel joyau, il se peut qu'on obtienne quelque réussite mondaine. Par contre, si on pratique le Dharma en tirant profit d'une existence pourvue de toutes ces conditions favorables, on peut dès lors, non seulement réussir dans tous les domaines de cette vie, mais surtout, on peut espérer obtenir une renaissance future dans les états supérieurs, ou bien le Nirvana (Au-delà de la Souffrance) auquel aspire le véhicule inférieur, ou bien même l'incomparable éveil.
"Celui qui l'obtient peut traverser l'océan des naissances successives et semer la graine de vertu pour le sublime éveil. Ayant obtenu cette incarnation humaine dont les qualités sont plus précieuses encore que celles d'un joyau exauçant les souhaits, qui donc pourrait envisager de la gaspiller?" (sLob sPring)
Le sPyod 'Jug dit aussi:
"Celui qui a obtenu cette opportunité de réaliser le sens de la vie d'un homme..."
Le terme sanskrit désignant homme est Puruksha; il signifie pouvoir ou force. Donc, le sens de la vie munie des conditions favorables, d'une personne de moindre puissance, sera l'obtention d'une renaissance humaine ou chez les dieux; pour une personne de force moyenne, il sera la libération, et pour une personne de force supérieure, il sera le pouvoir d'obtenir l'omniscience. Les autres incarnations n'ont-elles pas ce pouvoir? Elles ne l'ont pas; en effet, de manière générale, les fautes ou les vertus accomplies sous l'état humain ont plus de force. Parmi l'état humain, celles des hommes du continent de Dzambuling (c'est à dire notre terre) ont plus de poids car il s'agit là de la terre de l'accumulation du karma. Et les actes qui ont le plus de force sont ceux des humains pourvus de toutes les conditions favorables.
"La voie des humains à la grande force mentale, capables de guider les autres êtres en s'appuyant sur le chemin des Sughatas, n'est pas à la portée des dieux, ni des Nagas, des Yakshas, des Gandharvas, des Détenteurs de la Connaissance, de Mi'am ci ou de lTo 'Phyes." (sLob sPring)
En tant qu'incarnation permettant la pratique du saint Dharma, l'incarnation humaine munie de toutes les conditions favorables est bien supérieure à toute autre incarnation au sein des six états d'existence. Lorsqu'on a obtenu cette précieuse incarnation humaine munie des conditions favorables, qui est si difficile à obtenir et dont les bienfaits peuvent être si grands, si on ne pratique pas alors véritablement le saint Dharma, il n'est pas sûr du tout que l'on pourra de nouveau obtenir une telle opportunité dans le futur.
"En vous appuyant sur ce vaisseau de l'incarnation humaine, traversez donc le grand fleuve de la souffrance. Comme il sera difficile d'obtenir à nouveau un tel vaisseau par la suite, ne vous endormez pas dans votre ignorance!" (sPyod 'Jug)
Si l'on pense ne pas pratiquer véritablement le saint Dharma dans la présente incarnation, mais au moins se contenter d'éviter de commettre des fautes, et ce, dans l'espoir d'obtenir ensuite une nouvelle incarnation humaine et de se mettre alors à la pratique, on se trompe grandement. En effet, bien que maintenant l'on évite toute faute importante, on ne peut être certain de ne pas avoir par le passé dans tout le cycle de ses vies, accumulé des actes conduisant à une renaissance ultérieure dans les enfers. Telle peut en effet être la destinée pour la vie suivante. Comment pourrait-on être sûr de renaître dans les états supérieurs? Le même texte dit:
"Si une seule faute peut nous conduire dans les enfers de l'Infinie Souffrance durant un éon, comment les fautes accumulées depuis un temps immémorial au sein de la roue nous conduiraient-elles vers les états heureux?"
Le Dharma qu'il convient de pratiquer doit être une pratique en accord avec les paroles des Victorieux; ce ne doit pas être un Dharma des apparences ou de la bouche seule avec le coeur n'aspirant qu'aux désirs de cette vie. Un Dharma des apparences ne saurait nous assurer de trouver plus tard les conditions favorables, et il ne nous assurerait même pas une incarnation humaine. Si nous n'obtenons pas une telle incarnation, aucune autre incarnation ne nous permettra de pratiquer les pures vertus, et en conséquence, nous serons condamnés à endurer la souffrance durant de longs cycles. Le sPyod 'Jug dit:
"Mes actes actuels ne m'assureront même pas une incarnation humaine. Si je ne l'obtiens pas, ma destinée ne sera alors faite que de fautes, elle sera sans vertu."
"Il sera difficile d'obtenir de nouveau les conditions favorables; il est très difficile d'obtenir la venue d'un Bouddha; il est difficile de renoncer au fleuve des pulsions négatives. Hélas, la souffrance m'attend et pour longtemps!"
En bref, j'ai obtenu ce corps humain aux précieuses conditions, si difficile à obtenir; j'ai rencontré la doctrine du Bouddha, qu'il est si difficile de rencontrer; alors que maintenant, j'ai la possibilité de mettre en pratique la voie profonde de l'essence de la doctrine, si je ne donne pas un sens à mon obtention de ces conditions favorables, c'est comme si, étant parvenu dans un pays plein de joyaux, j'en revenais les mains vides. Il n'y a pas de plus grande erreur que je pourrais commettre pour me tromper moi-même. Le sPyod 'Jug dit encore:
"Si, ayant obtenu de telles conditions favorables, je n'en profite pas pour m'entraîner à la vertu, je ne pourrais pas me tromper plus moi-même. Rien ne serait plus stupide que cela."
Comment réfléchir à tout cela? Hélas, depuis un temps immémorial jusqu'à maintenant, je n'ai fait que prendre et reprendre naissance dans la roue. Contre ma volonté, j'ai dû endurer nombre de souffrances. Si je continue à ne pas être capable de traverser ce grand océan de la roue, les quatre grands fleuves de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, m'attendent pour m'emporter. Je n'aurai plus alors la possibilité de me libérer de la gueule du monstre des pulsions négatives. Quoi qu'il arrive, il me faut me libérer de ce grand océan de la souffrance au sein de la roue. Pour parvenir à l'autre rive de l'océan de la roue, il me faut utiliser le vaisseau des conditions favorables. Je connais maintenant la cause de l'obtention de ces conditions, je sais quel en est le nombre, et quelle en est l'essence. De ces différents points de vue et de bien d'autres encore, ces conditions sont difficiles à obtenir. Les posséder est bien plus précieux encore que posséder le joyau exauçant les souhaits. Si je réussis, je pourrai aisément obtenir la libération et l'omniscience. Une telle incarnation est bien supérieure à toute autre existence au sein des six états. Moi qui, maintenant, ai pu obtenir à peu près ce qu'on appelle ces conditions favorables, je m'en vais les utiliser pour le bien durable de toutes mes existences futures. Je vais m'efforcer de me libérer de l'océan de la roue, je vais m'efforcer de saisir un bout de la voie de libération. Si maintenant dans cette incarnation, je ne puis donner un sens à mon obtention de ces conditions favorables, je ne suis même pas sûr d'obtenir de nouveau une existence humaine. Je m'en vais donc m'efforcer de donner tout leur sens à ces conditions favorables.
Voilà ce qu'il faut penser du fond du coeur et il faut prier pour qu'un tel espoir se réalise.
C- LA REFLEXION QUANT AU CARACTERE EPHEMERE DES CONDITIONS OBTENUES
Un Sutra dit:
"Nobles moines, penser à l'impermanence est faire offrande aux Bouddhas. Penser à l'impermanence est l'enseignement même des Bouddhas. Penser à l'impermanence est la pensée bénie des Bouddhas. Nobles moines, de toutes les empreintes, celles de l'éléphant sont les meilleures (les plus grandes); de tous les sentiments, celui de l'impermanence est le meilleur."
Ainsi, la pensée de l'impermanence apporte d'immenses bienfaits: elle permet de contrôler le désir des objets, elle est l'aiguillon de l'effort, elle est l'antidote à la souffrance et elle est l'alliée permettant de comprendre la vacuité ultime.
Comment permet-elle le contrôle du désir des objets? Par la méditation de l'impermanence, on comprend qu'on ne peut durablement poser son esprit sur aucun objet extérieur ou intérieur et ainsi, il n'y a rien que l'on vienne à désirer très violemment.
Comment est-elle l'aiguillon de l'effort? Sachant que l'heure de la mort demeure une incertitude, cette pensée est d'abord la cause de l'entrée dans le Dharma. Plus tard, elle ramène sans cesse l'esprit dans la direction du Dharma et, finalement, elle aide à imprimer dans le continuum mental, le véritable Dharma bénéfique à l'heure de la mort. Si on ne comprend pas l'impermanence, et même si on pratique un Dharma des apparences, on demeure comme un laic ayant indûment endossé des vêtements de moine. Si on ne comprend pas l'impermanence, et bien qu'on se proclame pratiquant du Dharma, comme tous les efforts sont dictés par l'espoir d'une récompense dans cette vie, on est pris par l'aspiration envers les honneurs ou la nourriture et les richesses. Tous les efforts dans l'étude, la réflexion et la méditation, sont uniquement tournés dans la direction d'une réussite mondaine. Si, au contraire, on comprend l'impermanence, on est alors comme le bon coursier que le cavalier cravache et celui qui n'avait pas le Dharma, entre dans la doctrine, le dernier des pratiquants devient moyen, le moyen devient bon et le bon devient extrêmement bon. L'extrêmement bon devient alors Bouddha.
Comment la pensée de l'impermanence est-elle l'antidote à la souffrance? Celui qui comprend que tous les composés sont impermanents n'est même pas envahi par la crainte de la souffrance de la mort. Que dire donc des plus petites souffrances? Il s'agit ainsi là du moyen le plus efficace pour se libérer de la souffrance.
Comment cette pensée est-elle l'alliée pour la compréhension de la vacuité ultime? En effet, si tous les phénomènes existaient réellement de par leur nature propre, ils ne seraient pas soumis au changement. Or, comme sous l'effet de diverses conditions et actions, on les voit constamment se transformer, on comprend qu'ils sont dépourvus de toute essence propre réelle. Le maître Byams pa (Maitreya) dit:
"Le sens de l'impermanence est que rien n'existe; il est que tout ce qui est né doit aussi se défaire."
Comment y réfléchir? Trois points seront évoqués: en réfléchissant à la certitude de la mort, on abandonne la saisie d'une permanence. Deuxièmement, en réfléchissant à l'incertitude de l'heure de la mort, l'esprit ne se projette plus si loin dans le futur et, troisièmement, en réfléchissant sur l'absence de tout fruit positif si on ne pratique pas le Dharma, on se met à pratiquer.
1) REFLECHIR A LA CERTITUDE DE LA MORT
La réflexion va être ici menée par la discussion de trois points:
puisqu'après la naissance, il est impossible de demeurer pour toujours en vie, on est soumis à la mort. Deuxièmement, comme le corps est impermanent, il est soumis à la mort, et troisièmement comme la vie est impermanente, elle est soumise à la mort.
a) Puisqu'après la naissance, il est impossible de demeurer pour toujours en vie, on est soumis à la mort:
Tout d'abord, on se trompe en pensant bien certain qu'il faille pratiquer le saint Dharma lorsqu'on a pu obtenir une incarnation humaine munie de toutes les conditions favorables, mais qu'on peut le faire sans hâte car on a tout le temps nécessaire devant soi. C'est en effet dès maintenant et avec toute l'intensité requise, qu'il convient de commencer la pratique. On ne peut se permettre de prendre son temps ou de pratiquer de manière nonchalante, car la mort est certaine.
"C'est la mort qui se trouve au bout de toute naissance. Avez-vous déjà vu, entendu dire ou douté que quelqu'un, que ce soit sur cette terre ou dans les états supérieurs, puisse échapper à la mort après être né?" (Mya Ngan bSal ba ou Shoka vinodana)
En effet, personne ne peut prétendre avoir jamais vu quelqu'un qui, une fois né dans ce monde, y demeure éternellement sans jamais mourir. Personne n'a jamais non plus entendu rapporter un tel évènement digne de foi et personne n'a jamais pu avoir aucun doute sur la certitude de la mort. Il est donc certain que la mort attend tous les êtres après leur naissance et elle viendra sûrement. C'est ainsi que lorsqu'on est entré dans la matrice maternelle, et sans que l'on ait la possibilité de prendre un autre chemin, on est aussi entré sur la voie qui nous rapproche du maître de la mort. Il est dit dans le sKyes Rabs (Jataka):
"Dans ce monde, le soir même de l'entrée dans la matrice, et sans possibilité d'y échapper, on commence à se rapprocher à toute vitesse du maître de la mort."
Afin de faire savoir aux êtres que si l'on naît, il faudra aussi mourir, les êtres suprêmes qui ne sont plus soumis aux naissances et aux morts sous l'effet d'un mauvais karma, montrent tous, après leur naissance, l'apparence du trépas. Il est bien certain que nous, qui sommes enchaînés par nos actes et nos mauvaises pulsions, ne saurions échapper à ce sort.
"Si même les fils des Bouddhas, les Bouddhas Solitaires, les Bouddhas Parfaits, les Auditeurs, si tous abandonnent leur corps, il va de soi que les êtres ordinaires ne sauraient l'éviter." (Mya Ngan bSal ba)
C'est ainsi que nulle part, il n'existe de lieu où l'on échappe à la mort après être né, ni de région, que ce soit sous la terre, sur la terre ou au-dessus d'elle, qui échappe à l'emprise du maître de la mort.
Le même texte reprend:
"Même le plus puissant des ermites possédant les cinq perceptions supranormales et pouvant voler haut dans le ciel, ne saurait trouver de terre échappant à la mort."
Il est dit dans le sKyes Rabs:
"Où que l'on demeure, on ne saurait trouver un endroit qui ne soit pas soumis à la mort. Il n'en existe pas dans le ciel, ni non plus dans les profondeurs de l'océan, ni non plus dans aucune montagne."
En résumé, soyez convaincus qu'à partir du moment où vous avez dû renaître dans un corps sous l'effet de votre karma et des mauvais actes passés, la destinée qui vous attend ne peut être autre que la mort.
b) Il faut réfléchir que la mort vous attend car le corps est dépourvu de tout fondement:
"Hélas, les composés sont impermanents. La naissance est aussi annonciatrice de la mort. Né, il faut mourir. Mieux vaut donc aspirer au bonheur de l'apaisement." (Tshoms ou Udana varga)
De manière générale, les objets composés que causes et conditions amènent à l'existence, sont soumis à l'impermanence et peuvent aussi se défaire en un éclair. On ne peut donc durablement y reposer son esprit. En particulier, même cet univers solide et dur de montagnes, de continents et d'océans, issu de la force du karma collectif des êtres accumulé depuis un temps extrêmement long, se consumera finalement un jour en une langue de feu et sera réduit en poussière, le ciel devenant vide. Il va donc de soi que mon corps très faible que même les plus petites causes et conditions peuvent troubler, est destiné à disparaître.
"Si même la terre, les montagnes, et l'océan doivent se consumer sous la brûlure de sept soleils, et disparaître en poussière, il va sans dire que la destruction attend le corps humain si faible." (bShes sPring)
De plus, si même le corps de Dorjé (ou corps indestructible) des Bouddhas orné de toutes les marques et qualités, et qui prend forme à partir de l'accumulation sans limite du mérite, si même ce corps montre l'apparence de l'impermanence, il en va certainement de même pour notre corps sans fondement et producteur d'illusion trompeuse.
"Si même le corps de Dorjé orné de toutes les marques et qualités, est impermanent, il en va de même pour ce corps semblable à la bulle d'eau et au "bois d'eau" (sorte de bambou dont la floraison entraîne la mort) dénué d'essence." (Mya Ngan bSal ba)
Ainsi, il vous faut penser avec force que ce corps sans fondement que vous chérissez tant, un jour, sera brûlé par le feu et transformé en poussière, ou bien jeté dans un cours d'eau et dévoré par des animaux qui ne laisseront que des déchets, ou bien desséché sous la chaleur du soleil, ou bien détruit par un grouillement d'insectes, ou bien emporté et dispersé par le vent, ou bien pourrissant sous terre en une boue putride, ou bien dévoré par les animaux.
"Sachez que le sort final de ce corps sans fondement est d'être réduit en poussière, jeté, desséché, transformé en déchets, réduit en une boue putride et dispersé." (bShes sPring)
c) Il faut réfléchir que la mort est certaine car la vie est impermanente:
De manière générale, si on comprend que tous les composés peuvent en un éclair être détruits par l'impermanence, il est aisé d'admettre que la vie humaine aussi est impermanente. Il est dit que la vie humaine s'écoule plus vite que toutes les autres. Pour illustrer cela d'un exemple, le temps est fort court que mettrait un homme très rapide pour attraper en plein vol les flêches lancées dans les quatre directions par un archer habile, et ce, avant qu'elles ne retombent sur le sol. Et bien, il est dit que la vie des Prétas qui se déplacent sur la terre, est plus courte. Plus courte encore est la vie des Prétas qui se meuvent dans le ciel; plus courte encore est la course du char du soleil et de la lune; plus courte est la vie des dieux puissants, et la vie humaine s'écoule encore plus rapidement. Si la vie s'en va donc à ce rythme chaque instant, quelle ne va pas être sa rapidité à s'épuiser au cours des années, des mois, des jours et des minutes. Tout le temps qui s'est écoulé depuis ma naissance jusqu'à ce jour, depuis l'année dernière jusqu'à cette année, depuis hier jusqu'à aujourd'hui, est un temps qui raccourcit d'autant ma vie. La vie ne peut que diminuer et rien ne contribue à l'allonger. La mort est donc une certitude inévitable. Le sPyod 'Jug dit:
"Le jour ni la nuit ne peuvent cesser de s'écouler, et la vie décroît continuellement. Rien ne pouvant contribuer à la rallonger, comment donc pourrais-je échapper à la mort?"
Nous allons illustrer ce propos d'analogies: la vie humaine est comme l'eau d'une cascade au flanc d'une montagne escarpée, elle est comme le prisonnier attendant d'être tué, elle est comme le poisson pris dans le filet et comme le bétail entré à l'abattoir.
L'eau qui coule d'une cascade sur le flanc d'une montagne escarpée coule très rapidement, comme si l'eau venant après craignait de ne pouvoir rattraper celle d'avant. De la même façon, la vie s'écoule très rapidement, comme si le moment d'après voulait rattraper celui d'avant, et la mort survient alors. Le rGya Cher Rol pa dit:
"Les trois sphères sont impermanentes, pareilles aux nuages d'un ciel d'automne, pareilles au spectacle de la danse de naissance et de mort des êtres. La vie humaine est comme un éclair dans le ciel, elle passe rapidement tout comme l'eau d'une cascade de montagne escarpée."
Il ne s'agit là que d'exemples de grande rapidité, mais l'écoulement de la vie humaine est en fait, encore bien plus rapide.
Elle est comme le prisonnier attendant d'être tué: comme un condamné à mort attendant son exécution, que viennent saisir les bourreaux et que chaque pas qu'il fait alors rapproche de sa mort, chaque année, chaque mois, chaque jour, chaque minute qui passe, nous rapproche de la mort. Il est dit dans le Tshoms:
"La vie humaine ressemble au pas du prisonnier qui le rapproche sans cesse de sa mort."
Elle est comme le poisson pris dans un filet: tous les poissons qui se font prendre dans les filets que tirent les pêcheurs sur de grandes étendues, se font tuer l'un après l'autre, sans qu'aucun n'en réchappe. De la même manière, nous naissons dans l'eau de la roue, et pénétrons dans le filet des renaissances jeté par les pêcheurs des mauvaises pulsions. Parvenant jusqu'à la bouche du maître de la Mort, la seule issue est la mort. Le sPyod 'Jug dit:
"Pris dans le filet jeté par les pêcheurs des mauvaises pulsions, et parvenant à la bouche du maître de la Mort, comment continuer à ignorer (celle-ci)?"
La vie humaine est pareille à la condition du bétail mené à l'abattoir: lorsque les animaux destinés à l'abattage, pénètrent dans cette enceinte sans autre issue possible, et bien qu'ils voient leurs compagnons se faire tuer l'un après l'autre, les survivants ne semblent penser à rien d'autre qu'à se frapper ou à manger. Pourtant, finalement, ils se font tous tuer les uns après les autres jusqu'au dernier. De la même manière, nous naissons dans l'abattoir des naissances et nous ne cessons de voir nos proches et nos bien-aimés se faire tuer par les bourreaux du maître de la mort. Pourtant, nous ne considérons pas que le même sort nous attend, et nous intéressons à ce qu'ils (nos proches) laissent derrière eux dont nous puissions jouir, poursuivant dans l'insouciance toutes nos activités comme de boire, nous nourrir ou dormir, etc... Finalement, les bourreaux du maître de la mort nous détruisent de manière soudaine. Le sPyod 'Jug dit:
"Ne voyez-vous donc pas comme tous vos proches se font tuer les uns après les autres? Vous qui dormez sous le regard du maître de la mort, vous êtes pareils aux buffles devant le boucher, dont toutes les issues sont bloquées. Comment pouvez-vous prendre plaisir à manger et à dormir?"
Comment réfléchir à cela? Hélas, je n'ai pas le pouvoir de demeurer longtemps dans ce monde et la mort est un sort inévitable. Dans ce monde, tous ceux qui sont nés sont également morts, tous ceux qui vivent maintenant vont mourir et tous ceux qui naissent maintenant devront aussi mourir. Pourquoi donc serais-je le seul à échapper à ce sort? Si le Bouddha qui n'est pas soumis aux naissances et aux morts sous l'effet de mauvais actes, et qui est la lumière de ce monde, montre lui-même l'apparence du passage dans l'Au-Delà de la Souffrance, et si les êtres suprêmes eux-mêmes abandonnent leurs corps de maturation karmique en exemple pour autrui, comment pourrais-je avoir la certitude de ne pas mourir, moi qui suis enchaîné par les mauvais actes? En outre, tous ces éléments solides et fermes de l'univers, tels que les montagnes, les continents et les océans, apparus de l'immense diversité des actes des êtres, disparaîtront un jour sans laisser de trace, réduits en poussière. Si même le corps de Dorjé orné des marques et des qualités (des Bouddhas), issu de la réunion de centaines de mérites, n'est pas permanent, comment mon corps dépourvu de fondement, creux et sans substance le serait-il? Ainsi, ce corps impermanent que je tiens pour permanent, ce corps dépourvu de fondement que je tiens pour substantiel, un jour, sera consumé par le feu et réduit en cendres, ou bien jeté dans un cours d'eau et dévoré par les poissons ou autres carnivores; il sera placé au pied d'un mur et desséché, ou bien dévoré par les insectes qui laisseront une enveloppe vide; enterré sous terre et transformé en une boue putride, ou bien exposé dans un cimetière et dévoré par les oiseaux et les bêtes fauves. Hélas, le moment viendra inévitablement, ce moment qui apparaît pour tous, où l'impermanence essentielle du corps se révélera.
Si en réfléchissant ainsi, la conviction de l'impermanence et de la mort n'apparaît toujours pas, il faudra alors poursuivre la réflexion de la manière suivante: Me voilà maintenant avec un corps libre de maladie ou de souffrance morale, entouré de tous mes proches et de mes amis, jouissant d'une bonne nourriture, d'habits et d'un logement, prêt à m'installer pour longtemps dans cette vie et ne parlant que de cette perspective. Bien que je ne pense pas à la mort, elle viendra pourtant sans prévenir et anéantira soudainement toutes les préoccupations de cette vie, me forçant à tout laisser derrière moi. Mes proches ne pourront plus me voir, et je ne pourrai même plus les entendre, car nous serons séparés définitivement. Il est certain que viendra ce moment où je devrai m'en aller, seul, vers un lieu inconnu, solitaire et effrayant. Maintenant, au soir de ma vie, il me faut prendre la mort en sérieuse considération et pratiquer le pur Dharma qui me servira au moment ultime et qui s'imprimera dans mon continuum mental. Que le Lama et les trois joyaux qui savent, puissent faire qu'il en soit ainsi. Il convient de prier de cette façon de tout son coeur.
Dans les intervalles entre les sessions de méditation, on pourra réfléchir au sens énoncé dans le Sutra de l'Instruction au Roi (rGyal po la gDams pa'i mDo ou Rajavavadaka Sutra), et qui est le suivant:
Lorsqu'au milieu de ses proches et de son entourage, on est engagé dans une conversation plaisante, il est bon de se rappeler ceci: maintenant, me voilà avec mes proches et mes amis bien-aimés, mais viendra inévitablement le jour où je serai définitivement séparé d'eux.
De la même manière, en prenant un repas, on se dira: me voilà en train de manger toutes sortes de nourritures délicieuses, mais viendra inévitablement le jour où plus aucune boisson ni nourriture ne me plairont et où plus aucune alimentation ni aucun remède ne m'aideront, et il me faudra mourir.
En revêtant de beaux habits, on pense: me voilà maintenant vêtu de ces beaux atours, mais viendra inévitablement le jour où je me retrouverai enveloppé d'une mauvaise étoffe malodorante et où je serai jeté au loin.
En chevauchant une belle monture, on réfléchit: me voilà maintenant sur ce beau coursier, mais viendra inévitablement le jour où un triste croque-mort m'emportera.
Assis sur un siège confortable et plaisant, on se dit: me voilà maintenant assis sur ce coussin confortable et plaisant, mais viendra inévitablement le jour où je serai jeté dans un trou sombre.
C'est ainsi qu'il convient de méditer de toutes sortes de façons, jusqu'à la naissance de l'intime conviction que la mort nous attend.
2) REFLECHISSEZ A L'INCERTITUDE DE L'HEURE DE LA MORT AFIN QUE L'ESPRIT NE SE PROJETTE PLUS SI LOIN DANS LE FUTUR
Trois aspects vont être évoqués: comme la vie n'a pas de durée définie, l'heure de la mort demeure incertaine; comme les conditions provoquant la mort sont nombreuses, l'heure de celle-ci reste incertaine; comme les conditions favorisant la vie sont rares, l'heure de la mort demeure incertaine.
a) Comme la vie n'a pas de durée définie, l'heure de la mort demeure incertaine:
Tout en réfléchissant à la mort sous ses différents aspects, certains se trouvent sûrs de la venue ultime de la mort au terme de plusieurs années, mais ils pensent pouvoir se consacrer à réaliser leurs objectifs de cette vie durant la première partie de celle-ci, tandis qu'ils en dédieraient la dernière partie au Dharma. Certains pensent accumuler des provisions pendant l'année présente, puis ensuite, se mettre à la pratique du Dharma. Pourtant, on ne peut être sûr que tout se passera selon ses plans, et on ne sait pas ce qui viendra en premier, de la partie finale de la vie ou de l'existence suivante. On ne sait pas si on verra l'année prochaine avant la vie suivante. De la même manière, on demeure ignorant de ce qui adviendra d'abord, de la vie suivante ou du mois suivant, ou même de la vie suivante ou du jour suivant. Il est dit dans le Tshoms:
"On ne peut avoir l'assurance que demain viendra avant la vie suivante. Il vaut donc mieux se préparer à la vie suivante qu'au seul lendemain."
A ce sujet, il est dit dans le mDzod:
"Ici, la durée de la vie est incertaine; elle peut être de dix ans ou beaucoup plus longue."
Bien que la vie humaine ait une durée définie dans les trois autres continents, la vie des hommes du continent de Dzambuling (continent généralement assimilé à notre terre) n'a aucune durée précise. Certains meurent après une courte vie dans la matrice maternelle, d'autres meurent sitôt nés ou sitôt qu'ils parviennent à se traîner sur le sol, ou dès qu'ils savent marcher, ou à peine entrés dans l'âge adulte, tandis que d'autres meurent la vieillesse atteinte. Le Tshoms dit:
"Certains meurent au sein de la matrice, d'autres à peine nés, ou sachant à peine se traîner, ou alors qu'ils savent déjà marcher; certains meurent vieux et d'autres, jeunes. Certains meurent en pleine force de l'âge. Ils tombent un à un, comme un fruit mûr."
Ainsi, je ne puis absolument pas être sûr que ma vie s'épuisant aujourd'hui, je ne m'en vais pas mourir ce soir.
"Vous ne pouvez même pas demeurer dans la tranquillité mentale venant de l'assurance de ne pas mourir aujourd'hui. Par contre, il est certain que le jour de votre mort va venir." (sPyod 'Jug)
b) Comme les conditions provoquant la mort sont nombreuses, l'heure de la mort demeure incertaine:
En effet, le corps se trouve facilement privé de vie. Le maître de la Mort est sans pitié et, finalement, les causes de mort telles que les maladies ou les attaques des esprits nuisibles (Tib.gDons, sorte d'être nuisible à l'origine de maladies ou d'attaques subites), sont nombreuses. En raison de tout cela, l'heure de la mort est incertaine.
Le corps se trouve facilement privé de vie: même s'il lui reste un certain capital de vie, il n'est pourtant pas sûr de pouvoir en jouir dans son intégralité. En effet, les obstacles s'opposant à la vie sont nombreux et variés et le corps se trouve facilement privé de vie. Il est semblable par exemple, à la flamme d'une lampe à beurre dans le vent. Bien que la flamme soit capable de brûler jusqu'à ce que le beurre et la mêche soient entièrement consumés, sous l'effet du vent qui l'empêche de brûler, elle peut s'éteindre soudainement. Le sLob sPring dit:
"Comme la langue de feu de la lampe à beurre, soufflée par un vent violent, il n'est même pas sûr que cette vie dure un moment."
Si on pense à la facilité avec laquelle le corps peut se trouver privé de vie, on se sent émerveillé de pouvoir se réveiller au sortir du sommeil, et de pouvoir inspirer après avoir expiré. Il est dit dans le bShes sPring:
"La vie est confrontée à de nombreux obstacles, comme la flamme de la lampe à beurre dans le vent. Si elle est plus éphémère encore que la bulle d'eau, quel miracle que d'inspirer après avoir expiré, ou se réveiller au sortir du sommeil!"
Deuxièmement, comme le maître de la mort est sans pitié, l'heure de la mort reste incertaine: le maître de la mort, pris de compassion à mon égard, ne va sûrement pas penser laisser vivre ce cher malheureux qui n'a pas terminé tout son travail; il ne va pas penser lui accorder encore un peu de temps parce qu'il n'est pas malade, il ne va pas avoir de telles pensées. Au contraire, comme le chasseur poursuivant sa proie, il n'a d'autre pensée que de tuer au plus vite. Le sPyod 'Jug dit:
"On ne peut faire confiance au maître de la mort, qui ne se préoccupera pas de savoir si vous avez ou non fini. Malade ou pas, on ne peut être sûr de cette vie qui peut soudainement s'éteindre."
Troisièmement, comme les obstacles tels que les maladies ou les attaques de esprits nuisibles sont nombreux, l'heure de la mort reste incertaine: on meurt sous l'effet du bouleversement des éléments extérieurs et intérieurs, on meurt sous les attaques d'esprits malins qui vous nuisent, et on meurt sous l'effet des perturbations causées par d'autres esprits nuisibles tels que les dieux mâles ou autres.
En ce qui concerne les éléments extérieurs, on peut mourir enseveli sous terre à la suite d'un mouvement de terrain, ou emporté par les eaux, ou brûlé par le feu, ou encore poussé dans un précipice par le vent.
Quant aux éléments intérieurs, les maladies du phlegme dues à la terre, les maladies de froid dues à l'eau, les maladies de fièvres dues au feu et les maladies comme celle de "l'air dans le coeur" etc..., dues à l'air, toutes peuvent causer la mort.
Quant aux attaques d'esprits malins, il existe quatre-vingt mille sortes d'esprits malins cherchant sans cesse à nuire, et qui peuvent ravir le souffle des êtres, leur éclat et leur rayonnement.
Les esprits nuisibles tels que les dieux mâles et autres, peuvent parfois être bénéfiques si on leur plaît, mais si on leur déplaît, ils sont plus de trois cent soixante espèces à pouvoir nuire et provoquer de nombreuses morts.
Autrement, on meurt dans les querelles avec des ennemis, on meurt trompé par ses proches, on meurt de nourriture impropre, de remèdes néfastes, on meurt étouffé par ses vêtements, sous la vengeance de serviteurs, on meurt frappé par des bêtes domestiques ou dévoré par des bêtes fauves. Bien qu'on se chérisse personnellement plus que tout au monde, certains pourtant provoquent eux-mêmes leur propre mort, en se transperçant d'une lame ou en se jetant dans le vide.
En bref, il n'existe aucun être ou aucun objet extérieur ou intérieur dont on puisse être sûr qu'un jour, il ne causera pas notre mort. En effet, ils ont déjà provoqué la mort d'autres êtres et je ne saurais donc être sûr qu'ils ne provoqueront pas la mienne.
c) Comme les conditions favorisant la vie sont rares, l'heure de la mort demeure incertaine:
Certains penseront qu'il existe au contraire un grand nombre de moyens favorisant la vie, tels que des rituels, des remèdes, des aliments etc... Quelquefois, il est vrai que de tels moyens peuvent éviter une mort précoce, lorsque tous les éléments de celle-ci ne sont pas réunis, c'est à dire lorsque l'un des trois ou deux des trois éléments - la vie, le karma et le mérite - ne sont pas totalement épuisés. Lorsque ces trois éléments se trouvent épuisés et que l'heure a sonné, aucun de ces moyens ne peut plus rien contre la mort et il se trouve au contraire des situations où ils viennent même à provoquer celle-ci.
"Les causes de mort sont nombreuses, les causes de vie existent à peine et quelquefois, elles provoquent même la mort. Mieux vaut donc toujours pratiquer le Dharma." (Rin Chen Phreng ba ou Ratnavali)
Quelques uns qui espèrent vivre encore, penseront: "maintenant, je suis jeune, sans maladie et jouissant d'une bonne alimentation ainsi que de bons vêtements, etc... Aucun ennemi ni esprit malin ne cherche à me nuire, je ne vais donc pas mourir si vite." Mais la jeunesse ne peut vaincre la mort, car on voit des nouveaux nés mourir avant des vieillards courbés marchant avec une canne. Il est dit dans le Tshoms:
"De tous les nombreux êtres qu'on voit le matin, certains ne seront plus là le soir. De tous les nombreux êtres qu'on voit le soir, certains ne seront plus là le matin suivant. Beaucoup d'hommes et de femmes dans la force de l'âge, viennent à mourir. Comment donc penser que la jeunesse puisse constituer l'assurance de demeurer en vie?"
La bonne santé ne peut non plus vaincre la mort car on voit des êtres en bonne santé mourir soudainement avant d'autres qui sont malades depuis des années.
La possession de conditions favorables telles qu'une bonne alimentation ou de bons vêtements, etc... ne peut non plus vaincre la mort. En effet, on voit des riches possédant tout le nécessaire en fait de nourriture et de richesse, mourir avant des miséreux qui doivent, le matin, chercher leur nourriture du matin, et, le soir, se préoccuper d'obtenir celle du soir.
L'absence d'ennemis ne peut non plus vaincre la mort, car l'on en voit qui ignorent même le sens du mot ennemi, mourir avant d'autres entourés d'ennemis dans toutes les directions.
L'absence d'attaque de la part d'esprits malins ou d'esprits nuisibles, ne peut non plus vaincre la mort. En effet, on voit beaucoup d'êtres dont l'équilibre mental est normal, mourir avant d'autres dont tous les actes sont mauvais du fait d'une conscience perturbée et confuse en proie à l'attaque d'esprits nuisibles. Le sPyod 'Jug dit:
"Bien que ce jour, je sois libre de maladie, que j'aie nourriture et que je sois libre de toute attaque nuisible, chaque moment de cette vie est une illusion trompeuse, et ce corps n'est qu'une image éphémère."
Ainsi, si toutes ces conditions ne parviennent pas à vaincre la mort pour autrui, je n'ai aucune raison de penser qu'elles le pourraient pour moi. Si je regarde les choses en détail, je n'ai même aucune certitude de ne pas mourir ce soir, et ni moi ni autrui n'avons aucune raison crédible, pour demeurer l'esprit en paix.
Comment réfléchir à tout cela? "Hélas, depuis l'heure de ma naissance jusqu'à maintenant, je me suis laissé distraire durant toutes ces années, et maintenant, voici que je me suis rapproché de l'heure de ma mort. Nous autres, hommes du Dzambuling, n'avons aucune certitude sur la durée de notre vie. Bien qu'il puisse me rester quelque temps à vivre, il y a aussi beaucoup de morts avant l'heure. Nombreuses sont les conditions faisant obstacle à la vie et ce corps se trouve facilement privé de vie. Le maître de la mort qui est le principal fauteur d'obstacle à la vie, est sans pitié et il n'existe aucun lieu libre de ces obstacles où il soit possible de se réfugier. Chacun de ces obstacles peut à lui seul provoquer la mort et je ne suis pas du tout sûr de ne pas me trouver confronté à de telles circonstances. Ainsi, il n'y a aucun moyen de savoir si je vais mourir aujourd'hui ou demain, et si je meurs maintenant, je n'ai encore pratiqué aucun Dharma qui puisse me servir à l'heure de la mort. Hélas, que va-t-il m'arriver lorsque sonnera celle-ci? A partir d'aujourd'hui, dans cette partie finale de ma vie et alors que je ne connais pas l'heure de ma mort, je vais laisser derrière moi tous ces objectifs mondains dépourvus de fondement et vais désormais m'engager dans la pratique du saint Dharma seul utile à l'heure de la mort. Puissent le Lama et les trois joyaux qui savent, faire que le Dharma utile à la mort s'imprègne dans mon continuum mental."
Ainsi faut-il comme précédemment réfléchir et prier. Dans les intervalles entre sessions, il faut éviter de tomber sous l'emprise des préoccupations liées aux activités du jour ou du lendemain, mais au contraire, s'efforcer de garder constamment une intense vigilance et toujours agir et penser comme si l'on devait mourir aujourd'hui. Ainsi s'efforcera-t-on à la vertu.
Il est bien certain que sous de nombreux aspects, il est très difficile d'obtenir un corps humain avec toutes ces précieuses conditions, mais quel est le profit que l'on peut en espérer? Si on réussit, les bienfaits de cette existence humaine seront plus grands encore que si l'on était entré en possession d'un joyau exauçant les souhaits. Si on prie un tel joyau, il se peut qu'on obtienne quelque réussite mondaine. Par contre, si on pratique le Dharma en tirant profit d'une existence pourvue de toutes ces conditions favorables, on peut dès lors, non seulement réussir dans tous les domaines de cette vie, mais surtout, on peut espérer obtenir une renaissance future dans les états supérieurs, ou bien le Nirvana (Au-delà de la Souffrance) auquel aspire le véhicule inférieur, ou bien même l'incomparable éveil.
"Celui qui l'obtient peut traverser l'océan des naissances successives et semer la graine de vertu pour le sublime éveil. Ayant obtenu cette incarnation humaine dont les qualités sont plus précieuses encore que celles d'un joyau exauçant les souhaits, qui donc pourrait envisager de la gaspiller?" (sLob sPring)
Le sPyod 'Jug dit aussi:
"Celui qui a obtenu cette opportunité de réaliser le sens de la vie d'un homme..."
Le terme sanskrit désignant homme est Puruksha; il signifie pouvoir ou force. Donc, le sens de la vie munie des conditions favorables, d'une personne de moindre puissance, sera l'obtention d'une renaissance humaine ou chez les dieux; pour une personne de force moyenne, il sera la libération, et pour une personne de force supérieure, il sera le pouvoir d'obtenir l'omniscience. Les autres incarnations n'ont-elles pas ce pouvoir? Elles ne l'ont pas; en effet, de manière générale, les fautes ou les vertus accomplies sous l'état humain ont plus de force. Parmi l'état humain, celles des hommes du continent de Dzambuling (c'est à dire notre terre) ont plus de poids car il s'agit là de la terre de l'accumulation du karma. Et les actes qui ont le plus de force sont ceux des humains pourvus de toutes les conditions favorables.
"La voie des humains à la grande force mentale, capables de guider les autres êtres en s'appuyant sur le chemin des Sughatas, n'est pas à la portée des dieux, ni des Nagas, des Yakshas, des Gandharvas, des Détenteurs de la Connaissance, de Mi'am ci ou de lTo 'Phyes." (sLob sPring)
En tant qu'incarnation permettant la pratique du saint Dharma, l'incarnation humaine munie de toutes les conditions favorables est bien supérieure à toute autre incarnation au sein des six états d'existence. Lorsqu'on a obtenu cette précieuse incarnation humaine munie des conditions favorables, qui est si difficile à obtenir et dont les bienfaits peuvent être si grands, si on ne pratique pas alors véritablement le saint Dharma, il n'est pas sûr du tout que l'on pourra de nouveau obtenir une telle opportunité dans le futur.
"En vous appuyant sur ce vaisseau de l'incarnation humaine, traversez donc le grand fleuve de la souffrance. Comme il sera difficile d'obtenir à nouveau un tel vaisseau par la suite, ne vous endormez pas dans votre ignorance!" (sPyod 'Jug)
Si l'on pense ne pas pratiquer véritablement le saint Dharma dans la présente incarnation, mais au moins se contenter d'éviter de commettre des fautes, et ce, dans l'espoir d'obtenir ensuite une nouvelle incarnation humaine et de se mettre alors à la pratique, on se trompe grandement. En effet, bien que maintenant l'on évite toute faute importante, on ne peut être certain de ne pas avoir par le passé dans tout le cycle de ses vies, accumulé des actes conduisant à une renaissance ultérieure dans les enfers. Telle peut en effet être la destinée pour la vie suivante. Comment pourrait-on être sûr de renaître dans les états supérieurs? Le même texte dit:
"Si une seule faute peut nous conduire dans les enfers de l'Infinie Souffrance durant un éon, comment les fautes accumulées depuis un temps immémorial au sein de la roue nous conduiraient-elles vers les états heureux?"
Le Dharma qu'il convient de pratiquer doit être une pratique en accord avec les paroles des Victorieux; ce ne doit pas être un Dharma des apparences ou de la bouche seule avec le coeur n'aspirant qu'aux désirs de cette vie. Un Dharma des apparences ne saurait nous assurer de trouver plus tard les conditions favorables, et il ne nous assurerait même pas une incarnation humaine. Si nous n'obtenons pas une telle incarnation, aucune autre incarnation ne nous permettra de pratiquer les pures vertus, et en conséquence, nous serons condamnés à endurer la souffrance durant de longs cycles. Le sPyod 'Jug dit:
"Mes actes actuels ne m'assureront même pas une incarnation humaine. Si je ne l'obtiens pas, ma destinée ne sera alors faite que de fautes, elle sera sans vertu."
"Il sera difficile d'obtenir de nouveau les conditions favorables; il est très difficile d'obtenir la venue d'un Bouddha; il est difficile de renoncer au fleuve des pulsions négatives. Hélas, la souffrance m'attend et pour longtemps!"
En bref, j'ai obtenu ce corps humain aux précieuses conditions, si difficile à obtenir; j'ai rencontré la doctrine du Bouddha, qu'il est si difficile de rencontrer; alors que maintenant, j'ai la possibilité de mettre en pratique la voie profonde de l'essence de la doctrine, si je ne donne pas un sens à mon obtention de ces conditions favorables, c'est comme si, étant parvenu dans un pays plein de joyaux, j'en revenais les mains vides. Il n'y a pas de plus grande erreur que je pourrais commettre pour me tromper moi-même. Le sPyod 'Jug dit encore:
"Si, ayant obtenu de telles conditions favorables, je n'en profite pas pour m'entraîner à la vertu, je ne pourrais pas me tromper plus moi-même. Rien ne serait plus stupide que cela."
Comment réfléchir à tout cela? Hélas, depuis un temps immémorial jusqu'à maintenant, je n'ai fait que prendre et reprendre naissance dans la roue. Contre ma volonté, j'ai dû endurer nombre de souffrances. Si je continue à ne pas être capable de traverser ce grand océan de la roue, les quatre grands fleuves de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, m'attendent pour m'emporter. Je n'aurai plus alors la possibilité de me libérer de la gueule du monstre des pulsions négatives. Quoi qu'il arrive, il me faut me libérer de ce grand océan de la souffrance au sein de la roue. Pour parvenir à l'autre rive de l'océan de la roue, il me faut utiliser le vaisseau des conditions favorables. Je connais maintenant la cause de l'obtention de ces conditions, je sais quel en est le nombre, et quelle en est l'essence. De ces différents points de vue et de bien d'autres encore, ces conditions sont difficiles à obtenir. Les posséder est bien plus précieux encore que posséder le joyau exauçant les souhaits. Si je réussis, je pourrai aisément obtenir la libération et l'omniscience. Une telle incarnation est bien supérieure à toute autre existence au sein des six états. Moi qui, maintenant, ai pu obtenir à peu près ce qu'on appelle ces conditions favorables, je m'en vais les utiliser pour le bien durable de toutes mes existences futures. Je vais m'efforcer de me libérer de l'océan de la roue, je vais m'efforcer de saisir un bout de la voie de libération. Si maintenant dans cette incarnation, je ne puis donner un sens à mon obtention de ces conditions favorables, je ne suis même pas sûr d'obtenir de nouveau une existence humaine. Je m'en vais donc m'efforcer de donner tout leur sens à ces conditions favorables.
Voilà ce qu'il faut penser du fond du coeur et il faut prier pour qu'un tel espoir se réalise.
C- LA REFLEXION QUANT AU CARACTERE EPHEMERE DES CONDITIONS OBTENUES
Un Sutra dit:
"Nobles moines, penser à l'impermanence est faire offrande aux Bouddhas. Penser à l'impermanence est l'enseignement même des Bouddhas. Penser à l'impermanence est la pensée bénie des Bouddhas. Nobles moines, de toutes les empreintes, celles de l'éléphant sont les meilleures (les plus grandes); de tous les sentiments, celui de l'impermanence est le meilleur."
Ainsi, la pensée de l'impermanence apporte d'immenses bienfaits: elle permet de contrôler le désir des objets, elle est l'aiguillon de l'effort, elle est l'antidote à la souffrance et elle est l'alliée permettant de comprendre la vacuité ultime.
Comment permet-elle le contrôle du désir des objets? Par la méditation de l'impermanence, on comprend qu'on ne peut durablement poser son esprit sur aucun objet extérieur ou intérieur et ainsi, il n'y a rien que l'on vienne à désirer très violemment.
Comment est-elle l'aiguillon de l'effort? Sachant que l'heure de la mort demeure une incertitude, cette pensée est d'abord la cause de l'entrée dans le Dharma. Plus tard, elle ramène sans cesse l'esprit dans la direction du Dharma et, finalement, elle aide à imprimer dans le continuum mental, le véritable Dharma bénéfique à l'heure de la mort. Si on ne comprend pas l'impermanence, et même si on pratique un Dharma des apparences, on demeure comme un laic ayant indûment endossé des vêtements de moine. Si on ne comprend pas l'impermanence, et bien qu'on se proclame pratiquant du Dharma, comme tous les efforts sont dictés par l'espoir d'une récompense dans cette vie, on est pris par l'aspiration envers les honneurs ou la nourriture et les richesses. Tous les efforts dans l'étude, la réflexion et la méditation, sont uniquement tournés dans la direction d'une réussite mondaine. Si, au contraire, on comprend l'impermanence, on est alors comme le bon coursier que le cavalier cravache et celui qui n'avait pas le Dharma, entre dans la doctrine, le dernier des pratiquants devient moyen, le moyen devient bon et le bon devient extrêmement bon. L'extrêmement bon devient alors Bouddha.
Comment la pensée de l'impermanence est-elle l'antidote à la souffrance? Celui qui comprend que tous les composés sont impermanents n'est même pas envahi par la crainte de la souffrance de la mort. Que dire donc des plus petites souffrances? Il s'agit ainsi là du moyen le plus efficace pour se libérer de la souffrance.
Comment cette pensée est-elle l'alliée pour la compréhension de la vacuité ultime? En effet, si tous les phénomènes existaient réellement de par leur nature propre, ils ne seraient pas soumis au changement. Or, comme sous l'effet de diverses conditions et actions, on les voit constamment se transformer, on comprend qu'ils sont dépourvus de toute essence propre réelle. Le maître Byams pa (Maitreya) dit:
"Le sens de l'impermanence est que rien n'existe; il est que tout ce qui est né doit aussi se défaire."
Comment y réfléchir? Trois points seront évoqués: en réfléchissant à la certitude de la mort, on abandonne la saisie d'une permanence. Deuxièmement, en réfléchissant à l'incertitude de l'heure de la mort, l'esprit ne se projette plus si loin dans le futur et, troisièmement, en réfléchissant sur l'absence de tout fruit positif si on ne pratique pas le Dharma, on se met à pratiquer.
1) REFLECHIR A LA CERTITUDE DE LA MORT
La réflexion va être ici menée par la discussion de trois points:
puisqu'après la naissance, il est impossible de demeurer pour toujours en vie, on est soumis à la mort. Deuxièmement, comme le corps est impermanent, il est soumis à la mort, et troisièmement comme la vie est impermanente, elle est soumise à la mort.
a) Puisqu'après la naissance, il est impossible de demeurer pour toujours en vie, on est soumis à la mort:
Tout d'abord, on se trompe en pensant bien certain qu'il faille pratiquer le saint Dharma lorsqu'on a pu obtenir une incarnation humaine munie de toutes les conditions favorables, mais qu'on peut le faire sans hâte car on a tout le temps nécessaire devant soi. C'est en effet dès maintenant et avec toute l'intensité requise, qu'il convient de commencer la pratique. On ne peut se permettre de prendre son temps ou de pratiquer de manière nonchalante, car la mort est certaine.
"C'est la mort qui se trouve au bout de toute naissance. Avez-vous déjà vu, entendu dire ou douté que quelqu'un, que ce soit sur cette terre ou dans les états supérieurs, puisse échapper à la mort après être né?" (Mya Ngan bSal ba ou Shoka vinodana)
En effet, personne ne peut prétendre avoir jamais vu quelqu'un qui, une fois né dans ce monde, y demeure éternellement sans jamais mourir. Personne n'a jamais non plus entendu rapporter un tel évènement digne de foi et personne n'a jamais pu avoir aucun doute sur la certitude de la mort. Il est donc certain que la mort attend tous les êtres après leur naissance et elle viendra sûrement. C'est ainsi que lorsqu'on est entré dans la matrice maternelle, et sans que l'on ait la possibilité de prendre un autre chemin, on est aussi entré sur la voie qui nous rapproche du maître de la mort. Il est dit dans le sKyes Rabs (Jataka):
"Dans ce monde, le soir même de l'entrée dans la matrice, et sans possibilité d'y échapper, on commence à se rapprocher à toute vitesse du maître de la mort."
Afin de faire savoir aux êtres que si l'on naît, il faudra aussi mourir, les êtres suprêmes qui ne sont plus soumis aux naissances et aux morts sous l'effet d'un mauvais karma, montrent tous, après leur naissance, l'apparence du trépas. Il est bien certain que nous, qui sommes enchaînés par nos actes et nos mauvaises pulsions, ne saurions échapper à ce sort.
"Si même les fils des Bouddhas, les Bouddhas Solitaires, les Bouddhas Parfaits, les Auditeurs, si tous abandonnent leur corps, il va de soi que les êtres ordinaires ne sauraient l'éviter." (Mya Ngan bSal ba)
C'est ainsi que nulle part, il n'existe de lieu où l'on échappe à la mort après être né, ni de région, que ce soit sous la terre, sur la terre ou au-dessus d'elle, qui échappe à l'emprise du maître de la mort.
Le même texte reprend:
"Même le plus puissant des ermites possédant les cinq perceptions supranormales et pouvant voler haut dans le ciel, ne saurait trouver de terre échappant à la mort."
Il est dit dans le sKyes Rabs:
"Où que l'on demeure, on ne saurait trouver un endroit qui ne soit pas soumis à la mort. Il n'en existe pas dans le ciel, ni non plus dans les profondeurs de l'océan, ni non plus dans aucune montagne."
En résumé, soyez convaincus qu'à partir du moment où vous avez dû renaître dans un corps sous l'effet de votre karma et des mauvais actes passés, la destinée qui vous attend ne peut être autre que la mort.
b) Il faut réfléchir que la mort vous attend car le corps est dépourvu de tout fondement:
"Hélas, les composés sont impermanents. La naissance est aussi annonciatrice de la mort. Né, il faut mourir. Mieux vaut donc aspirer au bonheur de l'apaisement." (Tshoms ou Udana varga)
De manière générale, les objets composés que causes et conditions amènent à l'existence, sont soumis à l'impermanence et peuvent aussi se défaire en un éclair. On ne peut donc durablement y reposer son esprit. En particulier, même cet univers solide et dur de montagnes, de continents et d'océans, issu de la force du karma collectif des êtres accumulé depuis un temps extrêmement long, se consumera finalement un jour en une langue de feu et sera réduit en poussière, le ciel devenant vide. Il va donc de soi que mon corps très faible que même les plus petites causes et conditions peuvent troubler, est destiné à disparaître.
"Si même la terre, les montagnes, et l'océan doivent se consumer sous la brûlure de sept soleils, et disparaître en poussière, il va sans dire que la destruction attend le corps humain si faible." (bShes sPring)
De plus, si même le corps de Dorjé (ou corps indestructible) des Bouddhas orné de toutes les marques et qualités, et qui prend forme à partir de l'accumulation sans limite du mérite, si même ce corps montre l'apparence de l'impermanence, il en va certainement de même pour notre corps sans fondement et producteur d'illusion trompeuse.
"Si même le corps de Dorjé orné de toutes les marques et qualités, est impermanent, il en va de même pour ce corps semblable à la bulle d'eau et au "bois d'eau" (sorte de bambou dont la floraison entraîne la mort) dénué d'essence." (Mya Ngan bSal ba)
Ainsi, il vous faut penser avec force que ce corps sans fondement que vous chérissez tant, un jour, sera brûlé par le feu et transformé en poussière, ou bien jeté dans un cours d'eau et dévoré par des animaux qui ne laisseront que des déchets, ou bien desséché sous la chaleur du soleil, ou bien détruit par un grouillement d'insectes, ou bien emporté et dispersé par le vent, ou bien pourrissant sous terre en une boue putride, ou bien dévoré par les animaux.
"Sachez que le sort final de ce corps sans fondement est d'être réduit en poussière, jeté, desséché, transformé en déchets, réduit en une boue putride et dispersé." (bShes sPring)
c) Il faut réfléchir que la mort est certaine car la vie est impermanente:
De manière générale, si on comprend que tous les composés peuvent en un éclair être détruits par l'impermanence, il est aisé d'admettre que la vie humaine aussi est impermanente. Il est dit que la vie humaine s'écoule plus vite que toutes les autres. Pour illustrer cela d'un exemple, le temps est fort court que mettrait un homme très rapide pour attraper en plein vol les flêches lancées dans les quatre directions par un archer habile, et ce, avant qu'elles ne retombent sur le sol. Et bien, il est dit que la vie des Prétas qui se déplacent sur la terre, est plus courte. Plus courte encore est la vie des Prétas qui se meuvent dans le ciel; plus courte encore est la course du char du soleil et de la lune; plus courte est la vie des dieux puissants, et la vie humaine s'écoule encore plus rapidement. Si la vie s'en va donc à ce rythme chaque instant, quelle ne va pas être sa rapidité à s'épuiser au cours des années, des mois, des jours et des minutes. Tout le temps qui s'est écoulé depuis ma naissance jusqu'à ce jour, depuis l'année dernière jusqu'à cette année, depuis hier jusqu'à aujourd'hui, est un temps qui raccourcit d'autant ma vie. La vie ne peut que diminuer et rien ne contribue à l'allonger. La mort est donc une certitude inévitable. Le sPyod 'Jug dit:
"Le jour ni la nuit ne peuvent cesser de s'écouler, et la vie décroît continuellement. Rien ne pouvant contribuer à la rallonger, comment donc pourrais-je échapper à la mort?"
Nous allons illustrer ce propos d'analogies: la vie humaine est comme l'eau d'une cascade au flanc d'une montagne escarpée, elle est comme le prisonnier attendant d'être tué, elle est comme le poisson pris dans le filet et comme le bétail entré à l'abattoir.
L'eau qui coule d'une cascade sur le flanc d'une montagne escarpée coule très rapidement, comme si l'eau venant après craignait de ne pouvoir rattraper celle d'avant. De la même façon, la vie s'écoule très rapidement, comme si le moment d'après voulait rattraper celui d'avant, et la mort survient alors. Le rGya Cher Rol pa dit:
"Les trois sphères sont impermanentes, pareilles aux nuages d'un ciel d'automne, pareilles au spectacle de la danse de naissance et de mort des êtres. La vie humaine est comme un éclair dans le ciel, elle passe rapidement tout comme l'eau d'une cascade de montagne escarpée."
Il ne s'agit là que d'exemples de grande rapidité, mais l'écoulement de la vie humaine est en fait, encore bien plus rapide.
Elle est comme le prisonnier attendant d'être tué: comme un condamné à mort attendant son exécution, que viennent saisir les bourreaux et que chaque pas qu'il fait alors rapproche de sa mort, chaque année, chaque mois, chaque jour, chaque minute qui passe, nous rapproche de la mort. Il est dit dans le Tshoms:
"La vie humaine ressemble au pas du prisonnier qui le rapproche sans cesse de sa mort."
Elle est comme le poisson pris dans un filet: tous les poissons qui se font prendre dans les filets que tirent les pêcheurs sur de grandes étendues, se font tuer l'un après l'autre, sans qu'aucun n'en réchappe. De la même manière, nous naissons dans l'eau de la roue, et pénétrons dans le filet des renaissances jeté par les pêcheurs des mauvaises pulsions. Parvenant jusqu'à la bouche du maître de la Mort, la seule issue est la mort. Le sPyod 'Jug dit:
"Pris dans le filet jeté par les pêcheurs des mauvaises pulsions, et parvenant à la bouche du maître de la Mort, comment continuer à ignorer (celle-ci)?"
La vie humaine est pareille à la condition du bétail mené à l'abattoir: lorsque les animaux destinés à l'abattage, pénètrent dans cette enceinte sans autre issue possible, et bien qu'ils voient leurs compagnons se faire tuer l'un après l'autre, les survivants ne semblent penser à rien d'autre qu'à se frapper ou à manger. Pourtant, finalement, ils se font tous tuer les uns après les autres jusqu'au dernier. De la même manière, nous naissons dans l'abattoir des naissances et nous ne cessons de voir nos proches et nos bien-aimés se faire tuer par les bourreaux du maître de la mort. Pourtant, nous ne considérons pas que le même sort nous attend, et nous intéressons à ce qu'ils (nos proches) laissent derrière eux dont nous puissions jouir, poursuivant dans l'insouciance toutes nos activités comme de boire, nous nourrir ou dormir, etc... Finalement, les bourreaux du maître de la mort nous détruisent de manière soudaine. Le sPyod 'Jug dit:
"Ne voyez-vous donc pas comme tous vos proches se font tuer les uns après les autres? Vous qui dormez sous le regard du maître de la mort, vous êtes pareils aux buffles devant le boucher, dont toutes les issues sont bloquées. Comment pouvez-vous prendre plaisir à manger et à dormir?"
Comment réfléchir à cela? Hélas, je n'ai pas le pouvoir de demeurer longtemps dans ce monde et la mort est un sort inévitable. Dans ce monde, tous ceux qui sont nés sont également morts, tous ceux qui vivent maintenant vont mourir et tous ceux qui naissent maintenant devront aussi mourir. Pourquoi donc serais-je le seul à échapper à ce sort? Si le Bouddha qui n'est pas soumis aux naissances et aux morts sous l'effet de mauvais actes, et qui est la lumière de ce monde, montre lui-même l'apparence du passage dans l'Au-Delà de la Souffrance, et si les êtres suprêmes eux-mêmes abandonnent leurs corps de maturation karmique en exemple pour autrui, comment pourrais-je avoir la certitude de ne pas mourir, moi qui suis enchaîné par les mauvais actes? En outre, tous ces éléments solides et fermes de l'univers, tels que les montagnes, les continents et les océans, apparus de l'immense diversité des actes des êtres, disparaîtront un jour sans laisser de trace, réduits en poussière. Si même le corps de Dorjé orné des marques et des qualités (des Bouddhas), issu de la réunion de centaines de mérites, n'est pas permanent, comment mon corps dépourvu de fondement, creux et sans substance le serait-il? Ainsi, ce corps impermanent que je tiens pour permanent, ce corps dépourvu de fondement que je tiens pour substantiel, un jour, sera consumé par le feu et réduit en cendres, ou bien jeté dans un cours d'eau et dévoré par les poissons ou autres carnivores; il sera placé au pied d'un mur et desséché, ou bien dévoré par les insectes qui laisseront une enveloppe vide; enterré sous terre et transformé en une boue putride, ou bien exposé dans un cimetière et dévoré par les oiseaux et les bêtes fauves. Hélas, le moment viendra inévitablement, ce moment qui apparaît pour tous, où l'impermanence essentielle du corps se révélera.
Si en réfléchissant ainsi, la conviction de l'impermanence et de la mort n'apparaît toujours pas, il faudra alors poursuivre la réflexion de la manière suivante: Me voilà maintenant avec un corps libre de maladie ou de souffrance morale, entouré de tous mes proches et de mes amis, jouissant d'une bonne nourriture, d'habits et d'un logement, prêt à m'installer pour longtemps dans cette vie et ne parlant que de cette perspective. Bien que je ne pense pas à la mort, elle viendra pourtant sans prévenir et anéantira soudainement toutes les préoccupations de cette vie, me forçant à tout laisser derrière moi. Mes proches ne pourront plus me voir, et je ne pourrai même plus les entendre, car nous serons séparés définitivement. Il est certain que viendra ce moment où je devrai m'en aller, seul, vers un lieu inconnu, solitaire et effrayant. Maintenant, au soir de ma vie, il me faut prendre la mort en sérieuse considération et pratiquer le pur Dharma qui me servira au moment ultime et qui s'imprimera dans mon continuum mental. Que le Lama et les trois joyaux qui savent, puissent faire qu'il en soit ainsi. Il convient de prier de cette façon de tout son coeur.
Dans les intervalles entre les sessions de méditation, on pourra réfléchir au sens énoncé dans le Sutra de l'Instruction au Roi (rGyal po la gDams pa'i mDo ou Rajavavadaka Sutra), et qui est le suivant:
Lorsqu'au milieu de ses proches et de son entourage, on est engagé dans une conversation plaisante, il est bon de se rappeler ceci: maintenant, me voilà avec mes proches et mes amis bien-aimés, mais viendra inévitablement le jour où je serai définitivement séparé d'eux.
De la même manière, en prenant un repas, on se dira: me voilà en train de manger toutes sortes de nourritures délicieuses, mais viendra inévitablement le jour où plus aucune boisson ni nourriture ne me plairont et où plus aucune alimentation ni aucun remède ne m'aideront, et il me faudra mourir.
En revêtant de beaux habits, on pense: me voilà maintenant vêtu de ces beaux atours, mais viendra inévitablement le jour où je me retrouverai enveloppé d'une mauvaise étoffe malodorante et où je serai jeté au loin.
En chevauchant une belle monture, on réfléchit: me voilà maintenant sur ce beau coursier, mais viendra inévitablement le jour où un triste croque-mort m'emportera.
Assis sur un siège confortable et plaisant, on se dit: me voilà maintenant assis sur ce coussin confortable et plaisant, mais viendra inévitablement le jour où je serai jeté dans un trou sombre.
C'est ainsi qu'il convient de méditer de toutes sortes de façons, jusqu'à la naissance de l'intime conviction que la mort nous attend.
2) REFLECHISSEZ A L'INCERTITUDE DE L'HEURE DE LA MORT AFIN QUE L'ESPRIT NE SE PROJETTE PLUS SI LOIN DANS LE FUTUR
Trois aspects vont être évoqués: comme la vie n'a pas de durée définie, l'heure de la mort demeure incertaine; comme les conditions provoquant la mort sont nombreuses, l'heure de celle-ci reste incertaine; comme les conditions favorisant la vie sont rares, l'heure de la mort demeure incertaine.
a) Comme la vie n'a pas de durée définie, l'heure de la mort demeure incertaine:
Tout en réfléchissant à la mort sous ses différents aspects, certains se trouvent sûrs de la venue ultime de la mort au terme de plusieurs années, mais ils pensent pouvoir se consacrer à réaliser leurs objectifs de cette vie durant la première partie de celle-ci, tandis qu'ils en dédieraient la dernière partie au Dharma. Certains pensent accumuler des provisions pendant l'année présente, puis ensuite, se mettre à la pratique du Dharma. Pourtant, on ne peut être sûr que tout se passera selon ses plans, et on ne sait pas ce qui viendra en premier, de la partie finale de la vie ou de l'existence suivante. On ne sait pas si on verra l'année prochaine avant la vie suivante. De la même manière, on demeure ignorant de ce qui adviendra d'abord, de la vie suivante ou du mois suivant, ou même de la vie suivante ou du jour suivant. Il est dit dans le Tshoms:
"On ne peut avoir l'assurance que demain viendra avant la vie suivante. Il vaut donc mieux se préparer à la vie suivante qu'au seul lendemain."
A ce sujet, il est dit dans le mDzod:
"Ici, la durée de la vie est incertaine; elle peut être de dix ans ou beaucoup plus longue."
Bien que la vie humaine ait une durée définie dans les trois autres continents, la vie des hommes du continent de Dzambuling (continent généralement assimilé à notre terre) n'a aucune durée précise. Certains meurent après une courte vie dans la matrice maternelle, d'autres meurent sitôt nés ou sitôt qu'ils parviennent à se traîner sur le sol, ou dès qu'ils savent marcher, ou à peine entrés dans l'âge adulte, tandis que d'autres meurent la vieillesse atteinte. Le Tshoms dit:
"Certains meurent au sein de la matrice, d'autres à peine nés, ou sachant à peine se traîner, ou alors qu'ils savent déjà marcher; certains meurent vieux et d'autres, jeunes. Certains meurent en pleine force de l'âge. Ils tombent un à un, comme un fruit mûr."
Ainsi, je ne puis absolument pas être sûr que ma vie s'épuisant aujourd'hui, je ne m'en vais pas mourir ce soir.
"Vous ne pouvez même pas demeurer dans la tranquillité mentale venant de l'assurance de ne pas mourir aujourd'hui. Par contre, il est certain que le jour de votre mort va venir." (sPyod 'Jug)
b) Comme les conditions provoquant la mort sont nombreuses, l'heure de la mort demeure incertaine:
En effet, le corps se trouve facilement privé de vie. Le maître de la Mort est sans pitié et, finalement, les causes de mort telles que les maladies ou les attaques des esprits nuisibles (Tib.gDons, sorte d'être nuisible à l'origine de maladies ou d'attaques subites), sont nombreuses. En raison de tout cela, l'heure de la mort est incertaine.
Le corps se trouve facilement privé de vie: même s'il lui reste un certain capital de vie, il n'est pourtant pas sûr de pouvoir en jouir dans son intégralité. En effet, les obstacles s'opposant à la vie sont nombreux et variés et le corps se trouve facilement privé de vie. Il est semblable par exemple, à la flamme d'une lampe à beurre dans le vent. Bien que la flamme soit capable de brûler jusqu'à ce que le beurre et la mêche soient entièrement consumés, sous l'effet du vent qui l'empêche de brûler, elle peut s'éteindre soudainement. Le sLob sPring dit:
"Comme la langue de feu de la lampe à beurre, soufflée par un vent violent, il n'est même pas sûr que cette vie dure un moment."
Si on pense à la facilité avec laquelle le corps peut se trouver privé de vie, on se sent émerveillé de pouvoir se réveiller au sortir du sommeil, et de pouvoir inspirer après avoir expiré. Il est dit dans le bShes sPring:
"La vie est confrontée à de nombreux obstacles, comme la flamme de la lampe à beurre dans le vent. Si elle est plus éphémère encore que la bulle d'eau, quel miracle que d'inspirer après avoir expiré, ou se réveiller au sortir du sommeil!"
Deuxièmement, comme le maître de la mort est sans pitié, l'heure de la mort reste incertaine: le maître de la mort, pris de compassion à mon égard, ne va sûrement pas penser laisser vivre ce cher malheureux qui n'a pas terminé tout son travail; il ne va pas penser lui accorder encore un peu de temps parce qu'il n'est pas malade, il ne va pas avoir de telles pensées. Au contraire, comme le chasseur poursuivant sa proie, il n'a d'autre pensée que de tuer au plus vite. Le sPyod 'Jug dit:
"On ne peut faire confiance au maître de la mort, qui ne se préoccupera pas de savoir si vous avez ou non fini. Malade ou pas, on ne peut être sûr de cette vie qui peut soudainement s'éteindre."
Troisièmement, comme les obstacles tels que les maladies ou les attaques de esprits nuisibles sont nombreux, l'heure de la mort reste incertaine: on meurt sous l'effet du bouleversement des éléments extérieurs et intérieurs, on meurt sous les attaques d'esprits malins qui vous nuisent, et on meurt sous l'effet des perturbations causées par d'autres esprits nuisibles tels que les dieux mâles ou autres.
En ce qui concerne les éléments extérieurs, on peut mourir enseveli sous terre à la suite d'un mouvement de terrain, ou emporté par les eaux, ou brûlé par le feu, ou encore poussé dans un précipice par le vent.
Quant aux éléments intérieurs, les maladies du phlegme dues à la terre, les maladies de froid dues à l'eau, les maladies de fièvres dues au feu et les maladies comme celle de "l'air dans le coeur" etc..., dues à l'air, toutes peuvent causer la mort.
Quant aux attaques d'esprits malins, il existe quatre-vingt mille sortes d'esprits malins cherchant sans cesse à nuire, et qui peuvent ravir le souffle des êtres, leur éclat et leur rayonnement.
Les esprits nuisibles tels que les dieux mâles et autres, peuvent parfois être bénéfiques si on leur plaît, mais si on leur déplaît, ils sont plus de trois cent soixante espèces à pouvoir nuire et provoquer de nombreuses morts.
Autrement, on meurt dans les querelles avec des ennemis, on meurt trompé par ses proches, on meurt de nourriture impropre, de remèdes néfastes, on meurt étouffé par ses vêtements, sous la vengeance de serviteurs, on meurt frappé par des bêtes domestiques ou dévoré par des bêtes fauves. Bien qu'on se chérisse personnellement plus que tout au monde, certains pourtant provoquent eux-mêmes leur propre mort, en se transperçant d'une lame ou en se jetant dans le vide.
En bref, il n'existe aucun être ou aucun objet extérieur ou intérieur dont on puisse être sûr qu'un jour, il ne causera pas notre mort. En effet, ils ont déjà provoqué la mort d'autres êtres et je ne saurais donc être sûr qu'ils ne provoqueront pas la mienne.
c) Comme les conditions favorisant la vie sont rares, l'heure de la mort demeure incertaine:
Certains penseront qu'il existe au contraire un grand nombre de moyens favorisant la vie, tels que des rituels, des remèdes, des aliments etc... Quelquefois, il est vrai que de tels moyens peuvent éviter une mort précoce, lorsque tous les éléments de celle-ci ne sont pas réunis, c'est à dire lorsque l'un des trois ou deux des trois éléments - la vie, le karma et le mérite - ne sont pas totalement épuisés. Lorsque ces trois éléments se trouvent épuisés et que l'heure a sonné, aucun de ces moyens ne peut plus rien contre la mort et il se trouve au contraire des situations où ils viennent même à provoquer celle-ci.
"Les causes de mort sont nombreuses, les causes de vie existent à peine et quelquefois, elles provoquent même la mort. Mieux vaut donc toujours pratiquer le Dharma." (Rin Chen Phreng ba ou Ratnavali)
Quelques uns qui espèrent vivre encore, penseront: "maintenant, je suis jeune, sans maladie et jouissant d'une bonne alimentation ainsi que de bons vêtements, etc... Aucun ennemi ni esprit malin ne cherche à me nuire, je ne vais donc pas mourir si vite." Mais la jeunesse ne peut vaincre la mort, car on voit des nouveaux nés mourir avant des vieillards courbés marchant avec une canne. Il est dit dans le Tshoms:
"De tous les nombreux êtres qu'on voit le matin, certains ne seront plus là le soir. De tous les nombreux êtres qu'on voit le soir, certains ne seront plus là le matin suivant. Beaucoup d'hommes et de femmes dans la force de l'âge, viennent à mourir. Comment donc penser que la jeunesse puisse constituer l'assurance de demeurer en vie?"
La bonne santé ne peut non plus vaincre la mort car on voit des êtres en bonne santé mourir soudainement avant d'autres qui sont malades depuis des années.
La possession de conditions favorables telles qu'une bonne alimentation ou de bons vêtements, etc... ne peut non plus vaincre la mort. En effet, on voit des riches possédant tout le nécessaire en fait de nourriture et de richesse, mourir avant des miséreux qui doivent, le matin, chercher leur nourriture du matin, et, le soir, se préoccuper d'obtenir celle du soir.
L'absence d'ennemis ne peut non plus vaincre la mort, car l'on en voit qui ignorent même le sens du mot ennemi, mourir avant d'autres entourés d'ennemis dans toutes les directions.
L'absence d'attaque de la part d'esprits malins ou d'esprits nuisibles, ne peut non plus vaincre la mort. En effet, on voit beaucoup d'êtres dont l'équilibre mental est normal, mourir avant d'autres dont tous les actes sont mauvais du fait d'une conscience perturbée et confuse en proie à l'attaque d'esprits nuisibles. Le sPyod 'Jug dit:
"Bien que ce jour, je sois libre de maladie, que j'aie nourriture et que je sois libre de toute attaque nuisible, chaque moment de cette vie est une illusion trompeuse, et ce corps n'est qu'une image éphémère."
Ainsi, si toutes ces conditions ne parviennent pas à vaincre la mort pour autrui, je n'ai aucune raison de penser qu'elles le pourraient pour moi. Si je regarde les choses en détail, je n'ai même aucune certitude de ne pas mourir ce soir, et ni moi ni autrui n'avons aucune raison crédible, pour demeurer l'esprit en paix.
Comment réfléchir à tout cela? "Hélas, depuis l'heure de ma naissance jusqu'à maintenant, je me suis laissé distraire durant toutes ces années, et maintenant, voici que je me suis rapproché de l'heure de ma mort. Nous autres, hommes du Dzambuling, n'avons aucune certitude sur la durée de notre vie. Bien qu'il puisse me rester quelque temps à vivre, il y a aussi beaucoup de morts avant l'heure. Nombreuses sont les conditions faisant obstacle à la vie et ce corps se trouve facilement privé de vie. Le maître de la mort qui est le principal fauteur d'obstacle à la vie, est sans pitié et il n'existe aucun lieu libre de ces obstacles où il soit possible de se réfugier. Chacun de ces obstacles peut à lui seul provoquer la mort et je ne suis pas du tout sûr de ne pas me trouver confronté à de telles circonstances. Ainsi, il n'y a aucun moyen de savoir si je vais mourir aujourd'hui ou demain, et si je meurs maintenant, je n'ai encore pratiqué aucun Dharma qui puisse me servir à l'heure de la mort. Hélas, que va-t-il m'arriver lorsque sonnera celle-ci? A partir d'aujourd'hui, dans cette partie finale de ma vie et alors que je ne connais pas l'heure de ma mort, je vais laisser derrière moi tous ces objectifs mondains dépourvus de fondement et vais désormais m'engager dans la pratique du saint Dharma seul utile à l'heure de la mort. Puissent le Lama et les trois joyaux qui savent, faire que le Dharma utile à la mort s'imprègne dans mon continuum mental."
Ainsi faut-il comme précédemment réfléchir et prier. Dans les intervalles entre sessions, il faut éviter de tomber sous l'emprise des préoccupations liées aux activités du jour ou du lendemain, mais au contraire, s'efforcer de garder constamment une intense vigilance et toujours agir et penser comme si l'on devait mourir aujourd'hui. Ainsi s'efforcera-t-on à la vertu.
LANDRÉ 6
C- LA SOUFFRANCE DES PRODUCTIONS MENTALES
Réfléchir à cette troisième sorte de souffrance permet de produire le désir de la libération. Généralement, ce qu'on appelle souffrance des productions mentales est le mouvement incessant produit par l'effet des sensations éphémères, y compris les moments de neutralité, et par (la soif) de l'existence, mouvement qui agite ce rassemblement d'agrégats (le corps), et qui le pousse vers de mauvais états où il demeure immergé dans la souffrance. Bien que plongé dans cette souffrance, il est emporté par le tourbillon des autres souffrances (plus apparentes) et, comme un être infantile, il ne reconnaît pas cette souffrance comme telle et au contraire, s'illusionne en la prenant pour un vrai bonheur. Les êtres suprêmes, eux, la voient bien comme souffrance et s'en détachent toujours.
"Un poil placé dans la paume de la main ne cause aucun inconfort ni aucune douleur; le même poil dans l'oeil, cause inconfort et douleur. Les êtres infantiles sont comme la paume de la main. Ils ne voient pas le poil des productions mentales comme douleur; les êtres suprêmes sont comme l'oeil. Toujours, ils s'en éloignent." (mDzod 'Grel ou Abhidharmakosha Tika)
Afin de bien percevoir le caractère de souffrance de ce phénomène des productions mentales, nous réfléchirons, premièrement, à la souffrance du caractère inachevé de l'action, deuxièmement, à la souffrance de l'inassouvissement du désir, et, troisièmement, à la souffrance de devoir sans relâche subir la ronde des naissances et des morts.
1) LA SOUFFRANCE DU CARACTERE INACHEVÉ DE L'ACTION
"Après avoir peiné pour achever un projet ou une action, on le voit spontanément se défaire. Tout en le sachant, personne pourtant ne demeure libre d'attachement." (dBu ma bZhi brGya pa ou Catuhshataka)
Même si l'on travaille jusqu'à sa vieillesse ou jusqu'à l'heure de sa mort, il n'y a aucune chance de terminer ce que l'on a entrepris. Alors même qu'il en est ainsi, le paysan pourtant, sans abandonner l'attachement, continue à tacher la pierre du sang de ses jambes et le bois du sang de ses mains. Les marchands font de leur propre pays un pays étranger et du pays étranger, ils font leur lieu de résidence, sans jamais avoir le loisir de vivre avec ceux qu'ils aiment, et ils doivent continuer ainsi à endurer ces souffrances.
"Ceux dont l'attachement est fort, s'épuisent la journée entière au travail. De retour chez eux, ils s'effondrent le corps brisé, comme un cadavre. D'autres endurent les épreuves des voyages et la douleur de devoir vivre loin de la femme et des enfants qu'ils chérissent." (sPyod 'Jug)
Il est dit dans le 'Phags pa lhag pa'i bSam pa bSkul ba ou Arya adhyashaya samcodana, concernant les malheurs de l'attachement aux actes:
"Constamment, jour et nuit, sans autre pensée, ils ne se préoccupent que d'obtenir boisson et nourriture. Ils ne désirent pas les nobles qualités; de telles fautes proviennent d'un grand attachement aux actes. Leurs désirs sont très grands, ils convoitent les fortes saveurs et ne se satisfont pas des saveurs ordinaires. Ces fautes proviennent d'un grand attachement aux actes. Ils aiment avoir une suite nombreuse et sont malheureux lorsqu'ils viennent à la perdre, errant comme des ânes. Ces fautes proviennent d'un grand attachement aux actes."
Il faut s'efforcer de se débarrasser de l'attachement aux actes qui sont comme les rides renaissant sans cesse sur l'eau.
2) LA SOUFFRANCE DE L'INASSOUVISSEMENT DU DÉSIR
Il est dit dans le rGya Cher Rol pa:
"Le désir est la racine de la souffrance, il détruit la concentration et l'ascèse. Le désir est comme un breuvage salé; plus on en boit et plus on a soif."
Bien que dans nos vies, depuis un temps immémorial, il n'est pas un seul objet de plaisir dont nous n'ayons joui, nous sommes loin d'en être satisfaits pour autant. Au contraire, notre désir n'a fait que grandir et, sous l'effet d'un appétit de jouissance insatiable, nous sommes devenus étroitement attachés à la roue. Il n'y a pas non plus un seul tourment que nous n'ayons subi. Si l'on rassemblait tout le lait que nous avons bu au sein d'une mère après nos naissances successives d'une matrice, le liquide accumulé serait encore plus abondant que l'eau des quatre océans. Comme le dit le bShes sPring:
"Bien que chacun ait déjà bu plus de lait que les quatre océans n'en contiendraient, il en boira encore bien plus s'il continue à suivre les voies de l'existence ordinaire."
De manière similaire, on a mangé des morceaux de fonte en fusion et bu le liquide de la fonte en fusion, un nombre incalculable de fois au cours de nos existences dans les enfers. Nous nous sommes nourris de pus et de sang en quantité infinie, au cours de nos renaissances chez les Prétas. En tant qu'animaux, nous avons dévoré notre propre chair et celle de nos frères, un nombre incalculable de fois.
"Même si un homme avait pour lui tous les objets de plaisir possibles, il ne s'en sentirait pas pour autant comblé. Celui qui vit dans les plaisirs en désire toujours plus. Les esclaves du plaisir sont déchirés." (rGya Cher Rol pa)
Quels sont en particulier les malheurs produits par l'attachement aux richesses?
"La richesse qu'on accumule dans la peine, et qui cause souci pour sa garde et tourment quand on la perd, sachez donc que cette richesse est la source de votre perte. Ceux qui sont pris dans l'attachement à la richesse, ne pourront jamais se libérer de la souffrance de l'existence. Pour bien peu de bénéfice, le désir apporte de grands tourments. Comme le bétail tirant une charrette, qui broûte au passage un peu d'herbe sèche, et pour atteindre une richesse qui n'est pas si rare et que même les bêtes peuvent obtenir, on détruit, par la soif douloureuse des actes, ce qu'il est si difficile d'obtenir, à savoir les conditions d'une vie humaine propices à la pratique." (sPyod 'Jug)
En ce qui concerne les malheurs produits par le désir des femmes, le Dran pa Nyer gZhag dit:
"Les femmes sont la source de la destruction de vos richesses, elles sont la source des mauvais états d'existence. Comment ceux qui désirent les femmes pourraient-ils trouver le bonheur? Les femmes causent votre perte. Ceux qui désirent leur bien dans cette vie et les autres devront rejeter le désir des femmes." (7)
Ainsi, il convient d'abandonner la convoitise et l'attachement envers les objets de plaisir, qui sont la source de toutes les pertes.
"Dans cette vie et les autres, le désir est la cause de toute perte. C'est lui qui tue, qui lie et qui détruit. Il conduit aux enfers et aux autres mauvais états dans les vies ultérieures." (sPyod 'Jug)
3) LA SOUFFRANCE DE DEVOIR SANS RELACHE SUBIR LA RONDE DES NAISSANCES ET DES MORTS
"Il n'y a aucun endroit que je n'ai déjà habité, ni aucune race dont je n'ai jamais occupé le ventre." (sLob sPring)
Depuis des éons infinis jusqu'à maintenant, sous l'effet de mes actes et de mes pulsions négatives, j'ai erré au sein des différents états d'existence. Il n'est pas un seul lieu que je n'aie déjà habité, pas une seule sorte d'être dans le ventre duquel je n'ai vécu, pas un seul état au sein des six états d'existence dans lequel je ne sois rené. Si l'on empilait tous les squelettes laissés après ma mort dans l'un seulement de ces états d'existence, le tas serait plus haut que le monde de Brahma. S'il fallait utiliser la terre de cet univers pour représenter par une boulette de la taille d'une graine de genèvrier chinois, chacune des naissances où j'ai été mère, la terre n'y suffirait pas.
"L'amoncellement de mes squelettes atteindrait ou dépasserait la hauteur de la Montagne Centrale. Toute la terre disponible ne suffirait pas à représenter par une graine de genèvrier, le nombre de fois où j'ai été mère." (bShes sPring)
rJe bTsun Rinpoche dit dans ses Chants:
"Si l'on réfléchit à la souffrance des productions mentales, les actes restent toujours inachevés, il y a souffrance d'être trop entouré et souffrance d'être seul, souffrance d'être riche et souffrance si l'on a faim. La vie humaine s'épuise en préparatifs et tous meurent au beau milieu d'entre eux. Même une fois mort, les préparatifs ne cessent pas car on commence à se préparer à la vie suivante. Combien malheureux sont ceux qui aspirent à ce cercle de la souffrance dans la roue."
En bref, la roue est comme un malade qui ne guérit pas, comme une prison dont on ne sort jamais, comme un voyageur qui n'arrive jamais à destination. Quoi que l'on fasse, où que l'on se trouve, qui que soient nos compagnons et quelque soient nos richesses, toutes les actions sont souffrance de par leur nature propre. Elles sont la cause de souffrances et nous engagent toujours plus avant dans la roue de la souffrance. Il faut le savoir. Les êtres sages s'efforceront à tous les moyens de se libérer de la prison de la roue, de toutes leurs forces comme ils s'efforceraient d'éteindre le feu ayant pris à leurs cheveux ou à leurs vêtements. Il n'y a pas plus grande urgence que cela.
"Sachez que renaître dans la roue, chez les dieux, les hommes, dans les enfers, chez les Prétas ou chez les animaux, n'est pas une bonne renaissance, mais bien plutôt la source de nombreux malheurs. Comme vous abandonneriez toute autre activité pour éteindre le feu qui aurait pris à vos cheveux ou à vos vêtements, il faut vous efforcer de mettre un terme à la roue des existences. Il n'y a pas de plus grande urgence que celle-ci." (bShes sPring)
Il est donc essentiel de développer le désir de pratiquer le saint Dharma afin de se libérer de la roue de l'existence.
"C'est parce que maintenant et par le passé, j'ai été dénué de ferveur envers le Dharma, que je me trouve ainsi dans cet état misérable. Qui donc souhaiterait être dénué de ferveur envers le Dharma?" (sPyod 'Jug)
Comment réfléchir à tout ceci? "Hélas, depuis des vies immémoriales, j'ai tenu cet assemblement d'agrégats se perpétuant au cours des vies comme quelque chose de désirable. Tous ces actes liés aux productions mentales et qui sont toujours recommencés comme les incessantes rides sur l'eau, n'ont produit que souffrance. Il n'y a aucun fruit dont je puisse dire qu'il est le résultat de mes efforts. Bien que j'ai usé et abusé de tous les objets de plaisir intérieurs et extérieurs, l'attachement à ces objets n'en a pas pour autant diminué; au contraire, je me retrouve avec une soif pour les plaisirs aussi brûlante que le feu auquel on rajoute des bûches. Bien qu'ayant repris naissance dans les six états d'existence, un nombre infini de fois, je n'ai pas été capable de saisir un seul bout de la voie de la libération, mais au contraire je me retrouve devoir errer pour longtemps au sein de la roue de l'existence. Et cette situation, j'en suis le seul responsable; la faute n'incombe à personne d'autre. Je me suis moi-même fourvoyé, je me suis moi-même induit en erreur, je suis le seul responsable de mes souffrances. Je n'ai pas eu confiance dans les refuges infaillibles du Lama et des trois joyaux, j'ai tenu pour heureuse la nature propre de souffrance de la roue de l'existence, j'ai tenu pour permanent le bonheur des états supérieurs, essentiellement éphémère. Je me suis laissé distraire par les actes liés aux productions mentales, qui sont comme les incessantes rides sur l'eau. J'ai désiré les objets de plaisir qui sont tromperie du démon. Tout ceci est arrivé parce que je ne me suis pas lassé de la douloureuse illusion des naissances et des morts. Maintenant et dans cette vie, je vais rejeter, comme on rejette un crachat, tous les actes mondains dépourvus de sens. Je vais confier mon esprit au Lama et aux trois joyaux et, en m'appuyant sur les instructions d'un maître de vertu, je vais saisir un bout de la voie de libération. Je m'en vais du fond du coeur, pratiquer le saint Dharma authentique capable d'apaiser le feu de la souffrance."
Il faudra réfléchir ainsi jusqu'à ce qu'on ressente dans sa chair et dans ses os, la vérité de ces paroles. Priant les omniscients Lama et trois joyaux pour que la pratique du saint Dharma vous engage sur la voie de la libération, vous développerez une immense force de foi et de ferveur. Il faut méditer ainsi jusqu'à ce que des pleurs coulent de vos yeux, jusqu'à ce que votre voix tremble d'émotion et jusqu'à ce que vous ayez la chair de poule ou toute autre expérience. Si une telle chose survient, il convient de ne pas la laisser s'en aller; il faut, au contraire, l'associer à la méditation de son objet et un authentique et inébranlable désir de se libérer du Samsara, naîtra en vous.
Finalement, tout en dédiant les vertus acquises, il faut cultiver lucidité et vigilance dans tous ses actes et ne jamais faillir à considérer la roue comme une prison et la libération comme une noble demeure. On s'efforcera toujours aux moyens de tranformer toute étude, toute réflexion et toute méditation en antidote à la souffrance. Le vénéré rJe bTsun Rinpoche a dit, concernant les bienfaits d'une telle réflexion:
"Quelque soit le lieu où renaisse un être, s'il le considère toujours comme un lieu imparfait et malheureux, toutes ses actions alors iront dans la voie du Dharma."
II- LES INSTRUCTIONS SUR LA DIFFICULTE D'OBTENIR UN CORPS MUNI DE TOUTES LES CONDITIONS FAVORABLES
Cette réflexion permet de produire l'effort nécessaire
Dans le Traité, c'est par les mots "Avec les pulsions négatives..." que ce sujet est évoqué. On comprend en effet que le fruit des actes commis sous l'empire de la toute puissance des pulsions négatives ne peut être autre qu'une renaissance dans les mauvais états et qu'on ne saurait en aucun cas obtenir de cette façon une renaissance dans les états supérieurs. Connaissant la nature de souffrance de la roue, il faut pratiquer le saint Dharma comme moyen de s'en libérer. Mais pour le pratiquer, il est indispensable de posséder une incarnation humaine munie de toutes les conditions favorables à la pratique et exempte de défaut. Une telle incarnation ne s'obtient pas souvent.
"Il est difficile de ne pas se trouver dans l'une des huit conditions empêchant (la pratique). Il est difficile de renaître homme. Il est difficile d'obtenir les auspicieuses conditions (de la pratique). La venue d'un Bouddha aussi est difficile et rare." (sDong po bKod pa ou Ganda vyuha)
"Ces conditions favorables sont extrêmement difficiles à obtenir. Si jamais celui qui a eu la chance d'obtenir cette opportunité de réaliser le sens de la vie, la gaspillait, il ne pourrait plus tard obtenir de si précieuses conditions." (sPyod 'Jug)
Ces instructions se répartissent en trois sections: premièrement, la réflexion sur la difficulté d'obtenir une incarnation humaine munie des conditions favorables, deuxièmement, la réflexion sur les immenses bienfaits que peut procurer une telle incarnation, et, troisièmement, la réflexion que les conditions obtenues ne sont pas éternelles.
A- LA REFLEXION SUR LA DIFFICULTÉ D'OBTENIR UNE INCARNATION HUMAINE FAVORABLE
Elle comporte aussi trois parties, à savoir la réflexion sur la difficulté du point de vue de sa cause, du point de vue de son nombre et du point de vue de son essence propre.
1) Difficulté du point de vue de sa cause
Il est dit dans le sPyod 'Jug:
"Si l'on n'accomplit pas les pures vertus, et que l'on accumule les mauvais actes, le son des états heureux ne pourra être entendu durant des millions d'éons."
C'est l'accomplissement de vertus qui est cause de l'obtention d'une incarnation humaine favorable, support pour la pratique du saint Dharma. Si l'on n'accomplit pas de vertus et qu'on accumule les mauvais actes, comment pourrait-on obtenir les conditions favorables? Il deviendrait alors difficile d'entendre ne serait-ce que le son des états heureux et ce, durant de nombreux éons. Ainsi, comme il est rare de trouver quelqu'un qui réunisse cette cause de vertu, il est également rare d'obtenir son fruit qui est cette précieuse existence aux conditions favorables. Cette cause de vertu nécessaire à l'obtention de ces précieuses conditions, consiste dans le maintien d'une pure discipline éthique. Il ne s'agit en aucun cas de quelques actes isolés, comme quelque pratique du don ou autre, car ceci n'est pas suffisant pour l'obtention d'un état supérieur d'existence.
"Même si maintenant on est riche, grâce à une pratique du don antérieure, si on brise les jambes (le support) que représente la discipline éthique, on tombera dans les mauvais états." ('Jug pa ou Madhyamakavatara)
Comme le maintien d'une pure discipline éthique est quelque chose de rare, l'obtention d'un état heureux d'existence est aussi très rare.
2) Du point de vue de son nombre aussi, cette précieuse incarnation est difficile à obtenir:
Est-ce qu'une telle incarnation est vraiment si difficile à obtenir? Il y a beaucoup d'êtres humains... Penser ainsi est signe qu'on n'a pas examiné la situation avec suffisamment de détail. De façon générale, il y a dans les états intermédiaires du Bardo (état intermédiaire entre deux existences successives) un bien plus grand nombre d'êtres privés de corps, qu'il n'y a d'êtres vivants dans les différents domaines d'existence. Pour preuve, il suffit de constater ce qui se passe si on abandonne pour quelques jours d'été, un cadavre (d'animal par exemple). On voit qu'il grouille bien vite d'un énorme nombre d'insectes, et ce nombre d'insectes se multiplie à l'infini en fonction du nombre de cadavres qu'on abandonne ainsi. Or, il n'y a pas dans le Bardo que des êtres destinés à renaître sous la forme d'insectes, il y a tous les autres en nombre infini.
Comme le disent les Sutras sans défaut, les êtres doivent errer longtemps dans le Bardo, et cette parole est tout à fait exacte. En effet, on ne peut retrouver un corps avant que la chaîne des conditions nécessaires à cette obtention, ne soit complète. Quant aux corps ainsi obtenus, ceux des mauvais états sont bien plus nombreux tandis que ceux des états heureux sont rares.
"Le nombre de ceux qui se dirigent des états heureux vers les mauvais états, est égal au nombre de particules constituant la matière terre de cette planète. Le nombre de ceux qui se dirigent des mauvais états vers les bons, est égal aux particules de terre contenues sur la surface d'un ongle. Egalement équivalent à la quantité de terre contenue sur un ongle, est le nombre de ceux qui vont des états heureux vers les états heureux. Quant au nombre de ceux qui vont des mauvais états vers les mauvais états, il est comme la terre de cette planète. De la même manière, le nombre des êtres dans les enfers est infini comme la terre de cette planète, le nombre de ceux vivant chez les Prétas est égal au nombre de flocons d'une tempête de neige, et les animaux sont comme la lie du vin nouveau." ('Dul ba Lung ou Vinayagama)
Ainsi, au regard du nombre des autres êtres, l'humanité existe à peine. Même si l'on ne regarde que les animaux des royaumes supérieurs, l'été, ils sont une infinité sur les flancs des montagnes et parmi eux, les fourmis par exemple, pour ne parler que d'une seule espèce, sont en nombre indescriptible.
Nous allons illustrer cela par un exemple tiré du sPyod 'Jug:
"Le Bhagavan (Bouddha) dit que la difficulté à obtenir une existence humaine est aussi grande que pour une tortue, de réussir à passer son cou dans un joug de bois flottant à la surface du grand océan."
Si l'on veut savoir où le Bouddha s'exprime ainsi, c'est dans le Sutra de dGa' bo Rab tu Byung ba ou Nanda parivrajya Sutra, que le Bouddha dit:
"Nobles moines, imaginez que ce monde soit un grand océan habité d'une tortue aveugle et d'une grande longévité. Imaginez qu'elle ne vienne à la surface de l'eau qu'une fois tous les cent ans. Un joug de bois à l'unique trou flotte à la surface de ce grand océan, balloté d'est en ouest et d'ouest en est par les vents."
Le Bouddha parle ainsi longtemps. Il ajoute:
"Nobles moines, il peut arriver que cette tortue aveugle parvienne à passer son cou au travers de ce joug. Nobles moines, j'affirme que l'obtention d'une vie humaine est encore bien plus difficile que cela."
Cela signifie qu'infini comme l'immensité de la surface de ce grand océan, se trouve le nombre des autres lieux de naissance possibles. Par contre, l'existence humaine est rare comme le trou unique de ce joug de bois. De même que la tortue n'apparaît à la surface qu'une fois tous les cent ans, le karma conduisant à l'existence humaine est rare. De même que les yeux de la tortue sont aveugles, ce karma est de faible force. De même que ce joug de bois est balloté par le vent dans toutes les directions, il existe de nombreux obstacles à ce que la réunion des conditions favorables à une telle naissance s'accomplisse.
"Plus difficile encore que la rencontre entre le cou de la tortue et le trou du joug de bois dans le grand océan, est la réalisation d'une vie humaine à partir des états animaux. O Puissants, pratiquez le saint Dharma et récoltez le fruit (de cette bonne incarnation)." (bShes sPring)
3) Comment réfléchir que cette incarnation est difficile à obtenir du point de vue de son essence propre?
Si on demande ce que sont les conditions favorables d'une telle existence humaine, elles se résument dans les huit libertés et les dix réunions. Il s'agit donc d'une vie réunissant dix-huit conditions.
Que sont les huit libertés? Il s'agit d'être libre des huit états interdisant la pratique du Dharma. Quant à ces huit états, ce sont les enfers, les Prétas, les animaux, les dieux de grande longévité, l'état de barbare, l'état de ceux qui maintiennent des vues fausses, l'état de ceux qui habitent une terre où le Bouddha est inconnu et enfin, l'état d'arriéré mental. Ces huit se divisent en quatre états non-humains et en quatre états affectant les humains.
Les enfers sont caractérisés par le tourment d'une terrible souffrance, les Prétas endurent une brûlure mentale incessante, les animaux sont dans la plus totale stupidité et ils n'éprouvent jamais ni honte ni pudeur, les dieux à la longue vie sont caractérisés par leurs vues fausses qui font obstacle (à la pratique) et par une grande vanité. Quant aux barbares, ils agissent en fonction d'une vue erronée sur ce qu'il convient d'accepter et de rejeter et prennent, par exemple, leur propre mère pour femme, et ils peuvent difficilement rencontrer des êtres saints. Ceux qui maintiennent des vues fausses pensent par exemple, que la vertu n'est pas cause de la libération ou des états heureux; ils ne croient pas dans la vérité de la loi de rétribution des actes et ils doutent des joyaux. Les hommes qui naissent sur une terre où le Bouddha est inconnu, n'ont pas accès à la pratique du saint Dharma car il est inconnu chez eux. Quant aux arriérés mentaux, leur organe de la parole est défectueux (et ils sont stupides). Tous sont ignorants de ce qu'il convient d'accepter et de rejeter. Il leur manque donc la première qualification pour accéder au Dharma et ils demeurent dans un état qui leur en interdit la pratique.
Ainsi donc, il est rare d'avoir la liberté de pratiquer, car la plupart des êtres au sein des six états d'existence se trouvent dans une situation leur interdisant l'accès au Dharma.
En ce qui concerne les dix réunions, il s'agit des cinq réunions personnelles et des cinq réunions générales. Les premières sont comme suit: une naissance humaine, une naissance dans un pays central, la possession d'organes sains, la foi dans les lieux sacrés et ne pas avoir commis d'actes terribles.
Nous avons déjà montré qu'une naissance humaine était rare. Naître dans un pays central est également rare. Le suprême Thogs med (Asanga) définit un pays central comme un pays où demeure l'une des quatre assemblées (moines, nonnes, pratiquants mariés et pratiquantes mariées), et un pays barbare comme une terre où aucune de ces assemblées ne demeure. Les régions où ces quatre assemblées sont absentes sont vastes comme le ciel, et celles où elles se trouvent, peu étendues comme la roue d'un char. La pleine possession d'organes sains est également rare. Il est dit dans le sDong po bKod pa:
"Etre libre d'organes défectueux est aussi rare. Il est également rare de pouvoir entendre la doctrine du Bouddha."
Avoir foi dans les lieux sacrés est rare car pas plus d'une personne sur cent n'acquiert une foi sincère envers la discipline éthique du saint Dharma. Ne pas avoir commis d'actes terribles est également rare. En effet, il y en a beaucoup qui ont soit eux-mêmes commis ces cinq actes(8) de portée infinie, soit ont induit autrui à les commettre, soit se sont réjouis de les voir commettre par autrui.
Quant aux cinq réunions générales, elles sont les suivantes: la venue d'un Bouddha, sa prédication de la doctrine, la persistance de la doctrine, la présence d'adeptes et enfin la présence de ceux qui se soucient d'autrui.
La venue d'un Bouddha dans le monde est extrêmement rare. Un Sutra dit:
"Obtenir un corps humain lors de la présence très rare du Bouddha (ou de sa doctrine), est très difficile. Hélas, comme sont rares dans ce monde ceux qui écoutent avec foi le Dharma!"
De façon générale, on qualifie d'éon de "lumière" un âge qui voit la venue d'un Bouddha et d'éon de "ténèbre" un âge où il n'apparaît pas. L'éon actuel, qui doit voir la venue de mille Bouddhas, est appelé Bon Eon. Il sera suivi de soixante éons de ténèbres au terme desquels un seul éon de lumière nommé l'Etablissement des Qualités, surviendra. Puis, dix mille éons de ténèbres suivront, suivis d'un seul éon de lumière appelé Grande Renommée. Après trois cents éons de ténèbres viendra l'éon de lumière nommé Comme une Etoile. Ainsi, il n'y a que quatre éons de lumière pour dix mille trois cent soixante éons de ténèbres. Puisqu'il est également dit que le Bouddha n'apparaît pas dans un éon de lumière aux temps d'accroissement de la longévité des êtres, la plupart du temps se passe donc sans la venue d'un Bouddha.
"Si la venue d'un Tathagata, la foi, l'obtention d'un corps humain et l'habitude de la vertu sont si rares, comment donc les obtenir?" (sPyod 'Jug)
La prédication de la doctrine est également très rare. En effet, il est dit qu'en l'absence de disciples dignes réceptacles de son enseignement du Dharma, le Bouddha ne prêchera pas.
Notre propre maître lui-même (le Bouddha Shakyamuni), après avoir manifesté la réalisation de la bouddhéité, prononça les paroles suivantes:
"J'ai découvert la doctrine qui est comme un nectar, profonde et paisible, libre de toute manifestation, claire lumière et incomposée. Comme personne ne pourrait la comprendre, je m'en vais plutôt demeurer sans parler au fond des bois."
Alors qu'il demeurait ainsi découragé, le dieu Brahma, maître du royaume de Mi mJed, lui offrit une roue d'or à mille rayons en le suppliant de bien vouloir accepter de tourner la Roue du Dharma (de transmettre son enseignement).
Que la doctrine se maintienne est également rare: en effet, même dans notre Bon Eon, entre l'avènement de la doctrine de Bouddhas successifs, il se passe des périodes où il n'y a pas de doctrine accessible.
La présence d'adeptes est également rare: il y a beaucoup d'êtres dans ce monde qui suivent des doctrines hérétiques et qui tournent le dos au Dharma. La plupart de ceux qui clament leur appartenance au Dharma se sentent malades au seul énoncé des paroles véritables des Trois Corbeilles, des Tantras et de leurs commentaires authentiques. Ils refusent simplement de les entendre et préfèrent suivre des maîtres ignorants du sens des textes, mais qui les expliquent et qui conseillent en fonction de leurs fantasmes personnels. Et nombreux sont ceux qui écoutent, qui expliquent et qui méditent suivant ces fantasmes erronés. D'autres qui prétendent aussi sans fondement, connaître les Trois Corbeilles, courent après de tels enseignements vains, comme le lièvre fuit au son de "tchal".(9)
Rares aussi sont ceux qui se soucient du bien d'autrui: ceux qui vivent du mauvais moyen d'existence qu'est le don systématique afin de s'attirer de plus grandes faveurs en retour, trouvent toujours à se faire payer en retour. Mais on renâcle à donner des aumônes au véritable renonçant qui n'aime vivre ni dans la foule, ni dans la famille et qui, ne vivant que d'aumônes pour nourriture, passe son temps dans l'étude et la méditation.
"Rares sont ceux qui possèdent des moyens d'existence purs. Rares aussi sont ceux qui ont à coeur de suivre les enseignements du Dharma." (sDong po bKod pa)
Le seigneur du Dharma Sakya Pandita dit aussi:
"La plupart de ceux qui gardent strictement leurs voeux, reçoivent peu d'honneurs; peu nombreux sont ceux jouissant d'honneurs, qui gardent leurs voeux. Il y a peu de donateurs ayant foi dans le Dharma et les fidèles donnent souvent à d'indignes réceptacles. Ces offrandes sont source de mauvais moyens d'existence. Pour autant qu'il se trouve des pratiquants du Dharma qui n'acceptent pas ces mauvais moyens d'existence, on les honore encore moins."
Sachez donc que voir réunies dans une seule et même existence, ces dix-huit conditions favorables, est aussi rare que la vue d'étoiles en plein jour.
Réfléchir à cette troisième sorte de souffrance permet de produire le désir de la libération. Généralement, ce qu'on appelle souffrance des productions mentales est le mouvement incessant produit par l'effet des sensations éphémères, y compris les moments de neutralité, et par (la soif) de l'existence, mouvement qui agite ce rassemblement d'agrégats (le corps), et qui le pousse vers de mauvais états où il demeure immergé dans la souffrance. Bien que plongé dans cette souffrance, il est emporté par le tourbillon des autres souffrances (plus apparentes) et, comme un être infantile, il ne reconnaît pas cette souffrance comme telle et au contraire, s'illusionne en la prenant pour un vrai bonheur. Les êtres suprêmes, eux, la voient bien comme souffrance et s'en détachent toujours.
"Un poil placé dans la paume de la main ne cause aucun inconfort ni aucune douleur; le même poil dans l'oeil, cause inconfort et douleur. Les êtres infantiles sont comme la paume de la main. Ils ne voient pas le poil des productions mentales comme douleur; les êtres suprêmes sont comme l'oeil. Toujours, ils s'en éloignent." (mDzod 'Grel ou Abhidharmakosha Tika)
Afin de bien percevoir le caractère de souffrance de ce phénomène des productions mentales, nous réfléchirons, premièrement, à la souffrance du caractère inachevé de l'action, deuxièmement, à la souffrance de l'inassouvissement du désir, et, troisièmement, à la souffrance de devoir sans relâche subir la ronde des naissances et des morts.
1) LA SOUFFRANCE DU CARACTERE INACHEVÉ DE L'ACTION
"Après avoir peiné pour achever un projet ou une action, on le voit spontanément se défaire. Tout en le sachant, personne pourtant ne demeure libre d'attachement." (dBu ma bZhi brGya pa ou Catuhshataka)
Même si l'on travaille jusqu'à sa vieillesse ou jusqu'à l'heure de sa mort, il n'y a aucune chance de terminer ce que l'on a entrepris. Alors même qu'il en est ainsi, le paysan pourtant, sans abandonner l'attachement, continue à tacher la pierre du sang de ses jambes et le bois du sang de ses mains. Les marchands font de leur propre pays un pays étranger et du pays étranger, ils font leur lieu de résidence, sans jamais avoir le loisir de vivre avec ceux qu'ils aiment, et ils doivent continuer ainsi à endurer ces souffrances.
"Ceux dont l'attachement est fort, s'épuisent la journée entière au travail. De retour chez eux, ils s'effondrent le corps brisé, comme un cadavre. D'autres endurent les épreuves des voyages et la douleur de devoir vivre loin de la femme et des enfants qu'ils chérissent." (sPyod 'Jug)
Il est dit dans le 'Phags pa lhag pa'i bSam pa bSkul ba ou Arya adhyashaya samcodana, concernant les malheurs de l'attachement aux actes:
"Constamment, jour et nuit, sans autre pensée, ils ne se préoccupent que d'obtenir boisson et nourriture. Ils ne désirent pas les nobles qualités; de telles fautes proviennent d'un grand attachement aux actes. Leurs désirs sont très grands, ils convoitent les fortes saveurs et ne se satisfont pas des saveurs ordinaires. Ces fautes proviennent d'un grand attachement aux actes. Ils aiment avoir une suite nombreuse et sont malheureux lorsqu'ils viennent à la perdre, errant comme des ânes. Ces fautes proviennent d'un grand attachement aux actes."
Il faut s'efforcer de se débarrasser de l'attachement aux actes qui sont comme les rides renaissant sans cesse sur l'eau.
2) LA SOUFFRANCE DE L'INASSOUVISSEMENT DU DÉSIR
Il est dit dans le rGya Cher Rol pa:
"Le désir est la racine de la souffrance, il détruit la concentration et l'ascèse. Le désir est comme un breuvage salé; plus on en boit et plus on a soif."
Bien que dans nos vies, depuis un temps immémorial, il n'est pas un seul objet de plaisir dont nous n'ayons joui, nous sommes loin d'en être satisfaits pour autant. Au contraire, notre désir n'a fait que grandir et, sous l'effet d'un appétit de jouissance insatiable, nous sommes devenus étroitement attachés à la roue. Il n'y a pas non plus un seul tourment que nous n'ayons subi. Si l'on rassemblait tout le lait que nous avons bu au sein d'une mère après nos naissances successives d'une matrice, le liquide accumulé serait encore plus abondant que l'eau des quatre océans. Comme le dit le bShes sPring:
"Bien que chacun ait déjà bu plus de lait que les quatre océans n'en contiendraient, il en boira encore bien plus s'il continue à suivre les voies de l'existence ordinaire."
De manière similaire, on a mangé des morceaux de fonte en fusion et bu le liquide de la fonte en fusion, un nombre incalculable de fois au cours de nos existences dans les enfers. Nous nous sommes nourris de pus et de sang en quantité infinie, au cours de nos renaissances chez les Prétas. En tant qu'animaux, nous avons dévoré notre propre chair et celle de nos frères, un nombre incalculable de fois.
"Même si un homme avait pour lui tous les objets de plaisir possibles, il ne s'en sentirait pas pour autant comblé. Celui qui vit dans les plaisirs en désire toujours plus. Les esclaves du plaisir sont déchirés." (rGya Cher Rol pa)
Quels sont en particulier les malheurs produits par l'attachement aux richesses?
"La richesse qu'on accumule dans la peine, et qui cause souci pour sa garde et tourment quand on la perd, sachez donc que cette richesse est la source de votre perte. Ceux qui sont pris dans l'attachement à la richesse, ne pourront jamais se libérer de la souffrance de l'existence. Pour bien peu de bénéfice, le désir apporte de grands tourments. Comme le bétail tirant une charrette, qui broûte au passage un peu d'herbe sèche, et pour atteindre une richesse qui n'est pas si rare et que même les bêtes peuvent obtenir, on détruit, par la soif douloureuse des actes, ce qu'il est si difficile d'obtenir, à savoir les conditions d'une vie humaine propices à la pratique." (sPyod 'Jug)
En ce qui concerne les malheurs produits par le désir des femmes, le Dran pa Nyer gZhag dit:
"Les femmes sont la source de la destruction de vos richesses, elles sont la source des mauvais états d'existence. Comment ceux qui désirent les femmes pourraient-ils trouver le bonheur? Les femmes causent votre perte. Ceux qui désirent leur bien dans cette vie et les autres devront rejeter le désir des femmes." (7)
Ainsi, il convient d'abandonner la convoitise et l'attachement envers les objets de plaisir, qui sont la source de toutes les pertes.
"Dans cette vie et les autres, le désir est la cause de toute perte. C'est lui qui tue, qui lie et qui détruit. Il conduit aux enfers et aux autres mauvais états dans les vies ultérieures." (sPyod 'Jug)
3) LA SOUFFRANCE DE DEVOIR SANS RELACHE SUBIR LA RONDE DES NAISSANCES ET DES MORTS
"Il n'y a aucun endroit que je n'ai déjà habité, ni aucune race dont je n'ai jamais occupé le ventre." (sLob sPring)
Depuis des éons infinis jusqu'à maintenant, sous l'effet de mes actes et de mes pulsions négatives, j'ai erré au sein des différents états d'existence. Il n'est pas un seul lieu que je n'aie déjà habité, pas une seule sorte d'être dans le ventre duquel je n'ai vécu, pas un seul état au sein des six états d'existence dans lequel je ne sois rené. Si l'on empilait tous les squelettes laissés après ma mort dans l'un seulement de ces états d'existence, le tas serait plus haut que le monde de Brahma. S'il fallait utiliser la terre de cet univers pour représenter par une boulette de la taille d'une graine de genèvrier chinois, chacune des naissances où j'ai été mère, la terre n'y suffirait pas.
"L'amoncellement de mes squelettes atteindrait ou dépasserait la hauteur de la Montagne Centrale. Toute la terre disponible ne suffirait pas à représenter par une graine de genèvrier, le nombre de fois où j'ai été mère." (bShes sPring)
rJe bTsun Rinpoche dit dans ses Chants:
"Si l'on réfléchit à la souffrance des productions mentales, les actes restent toujours inachevés, il y a souffrance d'être trop entouré et souffrance d'être seul, souffrance d'être riche et souffrance si l'on a faim. La vie humaine s'épuise en préparatifs et tous meurent au beau milieu d'entre eux. Même une fois mort, les préparatifs ne cessent pas car on commence à se préparer à la vie suivante. Combien malheureux sont ceux qui aspirent à ce cercle de la souffrance dans la roue."
En bref, la roue est comme un malade qui ne guérit pas, comme une prison dont on ne sort jamais, comme un voyageur qui n'arrive jamais à destination. Quoi que l'on fasse, où que l'on se trouve, qui que soient nos compagnons et quelque soient nos richesses, toutes les actions sont souffrance de par leur nature propre. Elles sont la cause de souffrances et nous engagent toujours plus avant dans la roue de la souffrance. Il faut le savoir. Les êtres sages s'efforceront à tous les moyens de se libérer de la prison de la roue, de toutes leurs forces comme ils s'efforceraient d'éteindre le feu ayant pris à leurs cheveux ou à leurs vêtements. Il n'y a pas plus grande urgence que cela.
"Sachez que renaître dans la roue, chez les dieux, les hommes, dans les enfers, chez les Prétas ou chez les animaux, n'est pas une bonne renaissance, mais bien plutôt la source de nombreux malheurs. Comme vous abandonneriez toute autre activité pour éteindre le feu qui aurait pris à vos cheveux ou à vos vêtements, il faut vous efforcer de mettre un terme à la roue des existences. Il n'y a pas de plus grande urgence que celle-ci." (bShes sPring)
Il est donc essentiel de développer le désir de pratiquer le saint Dharma afin de se libérer de la roue de l'existence.
"C'est parce que maintenant et par le passé, j'ai été dénué de ferveur envers le Dharma, que je me trouve ainsi dans cet état misérable. Qui donc souhaiterait être dénué de ferveur envers le Dharma?" (sPyod 'Jug)
Comment réfléchir à tout ceci? "Hélas, depuis des vies immémoriales, j'ai tenu cet assemblement d'agrégats se perpétuant au cours des vies comme quelque chose de désirable. Tous ces actes liés aux productions mentales et qui sont toujours recommencés comme les incessantes rides sur l'eau, n'ont produit que souffrance. Il n'y a aucun fruit dont je puisse dire qu'il est le résultat de mes efforts. Bien que j'ai usé et abusé de tous les objets de plaisir intérieurs et extérieurs, l'attachement à ces objets n'en a pas pour autant diminué; au contraire, je me retrouve avec une soif pour les plaisirs aussi brûlante que le feu auquel on rajoute des bûches. Bien qu'ayant repris naissance dans les six états d'existence, un nombre infini de fois, je n'ai pas été capable de saisir un seul bout de la voie de la libération, mais au contraire je me retrouve devoir errer pour longtemps au sein de la roue de l'existence. Et cette situation, j'en suis le seul responsable; la faute n'incombe à personne d'autre. Je me suis moi-même fourvoyé, je me suis moi-même induit en erreur, je suis le seul responsable de mes souffrances. Je n'ai pas eu confiance dans les refuges infaillibles du Lama et des trois joyaux, j'ai tenu pour heureuse la nature propre de souffrance de la roue de l'existence, j'ai tenu pour permanent le bonheur des états supérieurs, essentiellement éphémère. Je me suis laissé distraire par les actes liés aux productions mentales, qui sont comme les incessantes rides sur l'eau. J'ai désiré les objets de plaisir qui sont tromperie du démon. Tout ceci est arrivé parce que je ne me suis pas lassé de la douloureuse illusion des naissances et des morts. Maintenant et dans cette vie, je vais rejeter, comme on rejette un crachat, tous les actes mondains dépourvus de sens. Je vais confier mon esprit au Lama et aux trois joyaux et, en m'appuyant sur les instructions d'un maître de vertu, je vais saisir un bout de la voie de libération. Je m'en vais du fond du coeur, pratiquer le saint Dharma authentique capable d'apaiser le feu de la souffrance."
Il faudra réfléchir ainsi jusqu'à ce qu'on ressente dans sa chair et dans ses os, la vérité de ces paroles. Priant les omniscients Lama et trois joyaux pour que la pratique du saint Dharma vous engage sur la voie de la libération, vous développerez une immense force de foi et de ferveur. Il faut méditer ainsi jusqu'à ce que des pleurs coulent de vos yeux, jusqu'à ce que votre voix tremble d'émotion et jusqu'à ce que vous ayez la chair de poule ou toute autre expérience. Si une telle chose survient, il convient de ne pas la laisser s'en aller; il faut, au contraire, l'associer à la méditation de son objet et un authentique et inébranlable désir de se libérer du Samsara, naîtra en vous.
Finalement, tout en dédiant les vertus acquises, il faut cultiver lucidité et vigilance dans tous ses actes et ne jamais faillir à considérer la roue comme une prison et la libération comme une noble demeure. On s'efforcera toujours aux moyens de tranformer toute étude, toute réflexion et toute méditation en antidote à la souffrance. Le vénéré rJe bTsun Rinpoche a dit, concernant les bienfaits d'une telle réflexion:
"Quelque soit le lieu où renaisse un être, s'il le considère toujours comme un lieu imparfait et malheureux, toutes ses actions alors iront dans la voie du Dharma."
II- LES INSTRUCTIONS SUR LA DIFFICULTE D'OBTENIR UN CORPS MUNI DE TOUTES LES CONDITIONS FAVORABLES
Cette réflexion permet de produire l'effort nécessaire
Dans le Traité, c'est par les mots "Avec les pulsions négatives..." que ce sujet est évoqué. On comprend en effet que le fruit des actes commis sous l'empire de la toute puissance des pulsions négatives ne peut être autre qu'une renaissance dans les mauvais états et qu'on ne saurait en aucun cas obtenir de cette façon une renaissance dans les états supérieurs. Connaissant la nature de souffrance de la roue, il faut pratiquer le saint Dharma comme moyen de s'en libérer. Mais pour le pratiquer, il est indispensable de posséder une incarnation humaine munie de toutes les conditions favorables à la pratique et exempte de défaut. Une telle incarnation ne s'obtient pas souvent.
"Il est difficile de ne pas se trouver dans l'une des huit conditions empêchant (la pratique). Il est difficile de renaître homme. Il est difficile d'obtenir les auspicieuses conditions (de la pratique). La venue d'un Bouddha aussi est difficile et rare." (sDong po bKod pa ou Ganda vyuha)
"Ces conditions favorables sont extrêmement difficiles à obtenir. Si jamais celui qui a eu la chance d'obtenir cette opportunité de réaliser le sens de la vie, la gaspillait, il ne pourrait plus tard obtenir de si précieuses conditions." (sPyod 'Jug)
Ces instructions se répartissent en trois sections: premièrement, la réflexion sur la difficulté d'obtenir une incarnation humaine munie des conditions favorables, deuxièmement, la réflexion sur les immenses bienfaits que peut procurer une telle incarnation, et, troisièmement, la réflexion que les conditions obtenues ne sont pas éternelles.
A- LA REFLEXION SUR LA DIFFICULTÉ D'OBTENIR UNE INCARNATION HUMAINE FAVORABLE
Elle comporte aussi trois parties, à savoir la réflexion sur la difficulté du point de vue de sa cause, du point de vue de son nombre et du point de vue de son essence propre.
1) Difficulté du point de vue de sa cause
Il est dit dans le sPyod 'Jug:
"Si l'on n'accomplit pas les pures vertus, et que l'on accumule les mauvais actes, le son des états heureux ne pourra être entendu durant des millions d'éons."
C'est l'accomplissement de vertus qui est cause de l'obtention d'une incarnation humaine favorable, support pour la pratique du saint Dharma. Si l'on n'accomplit pas de vertus et qu'on accumule les mauvais actes, comment pourrait-on obtenir les conditions favorables? Il deviendrait alors difficile d'entendre ne serait-ce que le son des états heureux et ce, durant de nombreux éons. Ainsi, comme il est rare de trouver quelqu'un qui réunisse cette cause de vertu, il est également rare d'obtenir son fruit qui est cette précieuse existence aux conditions favorables. Cette cause de vertu nécessaire à l'obtention de ces précieuses conditions, consiste dans le maintien d'une pure discipline éthique. Il ne s'agit en aucun cas de quelques actes isolés, comme quelque pratique du don ou autre, car ceci n'est pas suffisant pour l'obtention d'un état supérieur d'existence.
"Même si maintenant on est riche, grâce à une pratique du don antérieure, si on brise les jambes (le support) que représente la discipline éthique, on tombera dans les mauvais états." ('Jug pa ou Madhyamakavatara)
Comme le maintien d'une pure discipline éthique est quelque chose de rare, l'obtention d'un état heureux d'existence est aussi très rare.
2) Du point de vue de son nombre aussi, cette précieuse incarnation est difficile à obtenir:
Est-ce qu'une telle incarnation est vraiment si difficile à obtenir? Il y a beaucoup d'êtres humains... Penser ainsi est signe qu'on n'a pas examiné la situation avec suffisamment de détail. De façon générale, il y a dans les états intermédiaires du Bardo (état intermédiaire entre deux existences successives) un bien plus grand nombre d'êtres privés de corps, qu'il n'y a d'êtres vivants dans les différents domaines d'existence. Pour preuve, il suffit de constater ce qui se passe si on abandonne pour quelques jours d'été, un cadavre (d'animal par exemple). On voit qu'il grouille bien vite d'un énorme nombre d'insectes, et ce nombre d'insectes se multiplie à l'infini en fonction du nombre de cadavres qu'on abandonne ainsi. Or, il n'y a pas dans le Bardo que des êtres destinés à renaître sous la forme d'insectes, il y a tous les autres en nombre infini.
Comme le disent les Sutras sans défaut, les êtres doivent errer longtemps dans le Bardo, et cette parole est tout à fait exacte. En effet, on ne peut retrouver un corps avant que la chaîne des conditions nécessaires à cette obtention, ne soit complète. Quant aux corps ainsi obtenus, ceux des mauvais états sont bien plus nombreux tandis que ceux des états heureux sont rares.
"Le nombre de ceux qui se dirigent des états heureux vers les mauvais états, est égal au nombre de particules constituant la matière terre de cette planète. Le nombre de ceux qui se dirigent des mauvais états vers les bons, est égal aux particules de terre contenues sur la surface d'un ongle. Egalement équivalent à la quantité de terre contenue sur un ongle, est le nombre de ceux qui vont des états heureux vers les états heureux. Quant au nombre de ceux qui vont des mauvais états vers les mauvais états, il est comme la terre de cette planète. De la même manière, le nombre des êtres dans les enfers est infini comme la terre de cette planète, le nombre de ceux vivant chez les Prétas est égal au nombre de flocons d'une tempête de neige, et les animaux sont comme la lie du vin nouveau." ('Dul ba Lung ou Vinayagama)
Ainsi, au regard du nombre des autres êtres, l'humanité existe à peine. Même si l'on ne regarde que les animaux des royaumes supérieurs, l'été, ils sont une infinité sur les flancs des montagnes et parmi eux, les fourmis par exemple, pour ne parler que d'une seule espèce, sont en nombre indescriptible.
Nous allons illustrer cela par un exemple tiré du sPyod 'Jug:
"Le Bhagavan (Bouddha) dit que la difficulté à obtenir une existence humaine est aussi grande que pour une tortue, de réussir à passer son cou dans un joug de bois flottant à la surface du grand océan."
Si l'on veut savoir où le Bouddha s'exprime ainsi, c'est dans le Sutra de dGa' bo Rab tu Byung ba ou Nanda parivrajya Sutra, que le Bouddha dit:
"Nobles moines, imaginez que ce monde soit un grand océan habité d'une tortue aveugle et d'une grande longévité. Imaginez qu'elle ne vienne à la surface de l'eau qu'une fois tous les cent ans. Un joug de bois à l'unique trou flotte à la surface de ce grand océan, balloté d'est en ouest et d'ouest en est par les vents."
Le Bouddha parle ainsi longtemps. Il ajoute:
"Nobles moines, il peut arriver que cette tortue aveugle parvienne à passer son cou au travers de ce joug. Nobles moines, j'affirme que l'obtention d'une vie humaine est encore bien plus difficile que cela."
Cela signifie qu'infini comme l'immensité de la surface de ce grand océan, se trouve le nombre des autres lieux de naissance possibles. Par contre, l'existence humaine est rare comme le trou unique de ce joug de bois. De même que la tortue n'apparaît à la surface qu'une fois tous les cent ans, le karma conduisant à l'existence humaine est rare. De même que les yeux de la tortue sont aveugles, ce karma est de faible force. De même que ce joug de bois est balloté par le vent dans toutes les directions, il existe de nombreux obstacles à ce que la réunion des conditions favorables à une telle naissance s'accomplisse.
"Plus difficile encore que la rencontre entre le cou de la tortue et le trou du joug de bois dans le grand océan, est la réalisation d'une vie humaine à partir des états animaux. O Puissants, pratiquez le saint Dharma et récoltez le fruit (de cette bonne incarnation)." (bShes sPring)
3) Comment réfléchir que cette incarnation est difficile à obtenir du point de vue de son essence propre?
Si on demande ce que sont les conditions favorables d'une telle existence humaine, elles se résument dans les huit libertés et les dix réunions. Il s'agit donc d'une vie réunissant dix-huit conditions.
Que sont les huit libertés? Il s'agit d'être libre des huit états interdisant la pratique du Dharma. Quant à ces huit états, ce sont les enfers, les Prétas, les animaux, les dieux de grande longévité, l'état de barbare, l'état de ceux qui maintiennent des vues fausses, l'état de ceux qui habitent une terre où le Bouddha est inconnu et enfin, l'état d'arriéré mental. Ces huit se divisent en quatre états non-humains et en quatre états affectant les humains.
Les enfers sont caractérisés par le tourment d'une terrible souffrance, les Prétas endurent une brûlure mentale incessante, les animaux sont dans la plus totale stupidité et ils n'éprouvent jamais ni honte ni pudeur, les dieux à la longue vie sont caractérisés par leurs vues fausses qui font obstacle (à la pratique) et par une grande vanité. Quant aux barbares, ils agissent en fonction d'une vue erronée sur ce qu'il convient d'accepter et de rejeter et prennent, par exemple, leur propre mère pour femme, et ils peuvent difficilement rencontrer des êtres saints. Ceux qui maintiennent des vues fausses pensent par exemple, que la vertu n'est pas cause de la libération ou des états heureux; ils ne croient pas dans la vérité de la loi de rétribution des actes et ils doutent des joyaux. Les hommes qui naissent sur une terre où le Bouddha est inconnu, n'ont pas accès à la pratique du saint Dharma car il est inconnu chez eux. Quant aux arriérés mentaux, leur organe de la parole est défectueux (et ils sont stupides). Tous sont ignorants de ce qu'il convient d'accepter et de rejeter. Il leur manque donc la première qualification pour accéder au Dharma et ils demeurent dans un état qui leur en interdit la pratique.
Ainsi donc, il est rare d'avoir la liberté de pratiquer, car la plupart des êtres au sein des six états d'existence se trouvent dans une situation leur interdisant l'accès au Dharma.
En ce qui concerne les dix réunions, il s'agit des cinq réunions personnelles et des cinq réunions générales. Les premières sont comme suit: une naissance humaine, une naissance dans un pays central, la possession d'organes sains, la foi dans les lieux sacrés et ne pas avoir commis d'actes terribles.
Nous avons déjà montré qu'une naissance humaine était rare. Naître dans un pays central est également rare. Le suprême Thogs med (Asanga) définit un pays central comme un pays où demeure l'une des quatre assemblées (moines, nonnes, pratiquants mariés et pratiquantes mariées), et un pays barbare comme une terre où aucune de ces assemblées ne demeure. Les régions où ces quatre assemblées sont absentes sont vastes comme le ciel, et celles où elles se trouvent, peu étendues comme la roue d'un char. La pleine possession d'organes sains est également rare. Il est dit dans le sDong po bKod pa:
"Etre libre d'organes défectueux est aussi rare. Il est également rare de pouvoir entendre la doctrine du Bouddha."
Avoir foi dans les lieux sacrés est rare car pas plus d'une personne sur cent n'acquiert une foi sincère envers la discipline éthique du saint Dharma. Ne pas avoir commis d'actes terribles est également rare. En effet, il y en a beaucoup qui ont soit eux-mêmes commis ces cinq actes(8) de portée infinie, soit ont induit autrui à les commettre, soit se sont réjouis de les voir commettre par autrui.
Quant aux cinq réunions générales, elles sont les suivantes: la venue d'un Bouddha, sa prédication de la doctrine, la persistance de la doctrine, la présence d'adeptes et enfin la présence de ceux qui se soucient d'autrui.
La venue d'un Bouddha dans le monde est extrêmement rare. Un Sutra dit:
"Obtenir un corps humain lors de la présence très rare du Bouddha (ou de sa doctrine), est très difficile. Hélas, comme sont rares dans ce monde ceux qui écoutent avec foi le Dharma!"
De façon générale, on qualifie d'éon de "lumière" un âge qui voit la venue d'un Bouddha et d'éon de "ténèbre" un âge où il n'apparaît pas. L'éon actuel, qui doit voir la venue de mille Bouddhas, est appelé Bon Eon. Il sera suivi de soixante éons de ténèbres au terme desquels un seul éon de lumière nommé l'Etablissement des Qualités, surviendra. Puis, dix mille éons de ténèbres suivront, suivis d'un seul éon de lumière appelé Grande Renommée. Après trois cents éons de ténèbres viendra l'éon de lumière nommé Comme une Etoile. Ainsi, il n'y a que quatre éons de lumière pour dix mille trois cent soixante éons de ténèbres. Puisqu'il est également dit que le Bouddha n'apparaît pas dans un éon de lumière aux temps d'accroissement de la longévité des êtres, la plupart du temps se passe donc sans la venue d'un Bouddha.
"Si la venue d'un Tathagata, la foi, l'obtention d'un corps humain et l'habitude de la vertu sont si rares, comment donc les obtenir?" (sPyod 'Jug)
La prédication de la doctrine est également très rare. En effet, il est dit qu'en l'absence de disciples dignes réceptacles de son enseignement du Dharma, le Bouddha ne prêchera pas.
Notre propre maître lui-même (le Bouddha Shakyamuni), après avoir manifesté la réalisation de la bouddhéité, prononça les paroles suivantes:
"J'ai découvert la doctrine qui est comme un nectar, profonde et paisible, libre de toute manifestation, claire lumière et incomposée. Comme personne ne pourrait la comprendre, je m'en vais plutôt demeurer sans parler au fond des bois."
Alors qu'il demeurait ainsi découragé, le dieu Brahma, maître du royaume de Mi mJed, lui offrit une roue d'or à mille rayons en le suppliant de bien vouloir accepter de tourner la Roue du Dharma (de transmettre son enseignement).
Que la doctrine se maintienne est également rare: en effet, même dans notre Bon Eon, entre l'avènement de la doctrine de Bouddhas successifs, il se passe des périodes où il n'y a pas de doctrine accessible.
La présence d'adeptes est également rare: il y a beaucoup d'êtres dans ce monde qui suivent des doctrines hérétiques et qui tournent le dos au Dharma. La plupart de ceux qui clament leur appartenance au Dharma se sentent malades au seul énoncé des paroles véritables des Trois Corbeilles, des Tantras et de leurs commentaires authentiques. Ils refusent simplement de les entendre et préfèrent suivre des maîtres ignorants du sens des textes, mais qui les expliquent et qui conseillent en fonction de leurs fantasmes personnels. Et nombreux sont ceux qui écoutent, qui expliquent et qui méditent suivant ces fantasmes erronés. D'autres qui prétendent aussi sans fondement, connaître les Trois Corbeilles, courent après de tels enseignements vains, comme le lièvre fuit au son de "tchal".(9)
Rares aussi sont ceux qui se soucient du bien d'autrui: ceux qui vivent du mauvais moyen d'existence qu'est le don systématique afin de s'attirer de plus grandes faveurs en retour, trouvent toujours à se faire payer en retour. Mais on renâcle à donner des aumônes au véritable renonçant qui n'aime vivre ni dans la foule, ni dans la famille et qui, ne vivant que d'aumônes pour nourriture, passe son temps dans l'étude et la méditation.
"Rares sont ceux qui possèdent des moyens d'existence purs. Rares aussi sont ceux qui ont à coeur de suivre les enseignements du Dharma." (sDong po bKod pa)
Le seigneur du Dharma Sakya Pandita dit aussi:
"La plupart de ceux qui gardent strictement leurs voeux, reçoivent peu d'honneurs; peu nombreux sont ceux jouissant d'honneurs, qui gardent leurs voeux. Il y a peu de donateurs ayant foi dans le Dharma et les fidèles donnent souvent à d'indignes réceptacles. Ces offrandes sont source de mauvais moyens d'existence. Pour autant qu'il se trouve des pratiquants du Dharma qui n'acceptent pas ces mauvais moyens d'existence, on les honore encore moins."
Sachez donc que voir réunies dans une seule et même existence, ces dix-huit conditions favorables, est aussi rare que la vue d'étoiles en plein jour.
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